La grande déesse
traduisent le visage tandis que le tronc porte les bras en faible relief, et les seins sont toujours bien nets. Mais, la plupart du temps, seule la face de la stèle est gravée, le dos demeurant brut ou très frustement orné d’une chevelure. Quant à leur taille, elle est plutôt modeste, généralement inférieure à un mètre, avec quelques rares exceptions. On ne peut que penser à ces petites statues de la Vierge Marie dispersées au cours du Moyen Âge à travers les campagnes, sur des monticules ou même dans des arbres creux.
La plus remarquable de toutes ces statues-menhirs est sans aucun doute celle de Saint-Sernin (Aveyron), actuellement conservée au musée Fenaille de Rodez. C’est un bloc de grès rouge de 1,20 mètre de haut sur 0,70 mètre de large et 0,20 mètre d’épaisseur, qui a la particularité d’être gravé sur les deux faces. La tête et les épaules se confondent avec l’ogive formée par le sommet. Les yeux et le nez sont bien marqués, mais la bouche est absente. Sous les yeux, on peut voir des raies horizontales qu’on a crues être des moustaches, mais qui sont en réalité des tatouages. Car la stèle est féminine : sous le visage, on retrouve le collier mégalithique, et les seins sont indiqués par de petites sphères légèrement en relief, entre lesquelles prend naissance une sorte de fourche qui descend jusqu’à la ceinture très apparente et se prolongeant sur l’autre face. Les bras sont figurés horizontalement, avec des doigts désignés par cinq lignes parallèles et d’égale longueur. Enfin, sous la ceinture, des jambes, tracées verticalement, se terminent par des doigts semblables à ceux des mains. Ainsi se précise la nouvelle vision de la Grande Déesse des Commencements.
Sur ce modèle, il y a bien d’autres statues-menhirs. Celle de Granisse en Lacaune (Tarn) porte un collier de trois rangs mais n’a pas le mystérieux motif en forme de fourche. Celle du Mas Capellier, en Calmels-et-le-Viala (Aveyron), actuellement au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, est sans collier, mais le motif en fourche prend cette fois la forme d’un calice, ce qui n’est pas sans provoquer certaines réflexions.
De toute évidence, le personnage féminin représenté ici est de nature sacerdotale : au dos de la stèle, les omoplates sont fortement marquées et l’on discerne une sorte de baudrier qui relie le cou à la ceinture. Est-ce une prêtresse ? Dans ce cas, il est évident que la prêtresse doit s’identifier à la divinité. Or, il n’est pas interdit de comparer cette représentation avec ce qui sera, beaucoup plus tard, au XII e siècle, la célèbre « Pucelle au Graal », si magnifiquement décrite par Chrétien de Troyes dans son Perceval . L’hypothèse peut paraître hardie, mais elle n’est pas absurde : la stèle du Mas Capellier n’est pas l’illustration du récit du romancier champenois mais la figuration plastique du même thème : une jeune fille qui porte un graal (nom commun qui signifie, étymologiquement parlant, un « récipient ») d’où émane une lumière mystérieuse. Le thème du Graal, intégré on le sait à la légende arthurienne à partir du XII e siècle, remonte bien loin dans le temps : on le trouve dans diverses mythologies, celtique, germanique, iranienne et indienne, et il a déjà été récupéré, aux premiers siècles de notre ère, par les sectes gnostiques. Pourquoi ne pas admettre son existence à l’époque charnière où finit le néolithique et où commence l’âge du bronze ?
Cette vision de la Déesse-prêtresse détentrice d’un vase de lumière n’est pas à prendre au premier degré. Il s’agit plutôt d’une lumière intérieure et, par conséquent, l’enseignement contenu dans le symbole se réfère à une pénétration dans un univers autre , que, faute de mieux, on qualifiera d’ obscur . Or, l’une des statues-menhirs découvertes dans le cairn du Mas-de-l’Aveugle, à Collorgues (Gard), permet d’avancer des hypothèses encore plus hardies : c’est une stèle incontestablement féminine, d’une hauteur de 1,75 mètre, dont seul le sommet est sculpté de façon presque miniaturisé. On y discerne un visage en forme de triangle arrondi qui peut figurer aussi bien une arcade sourcilière qu’un collier, un nez et deux yeux, deux seins protubérants à l’intérieur même du visage-collier, et un mystérieux objet, réplique exacte de celui
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