La grande déesse
échancrure, est revêtu d’une sorte de « manteau » de cérémonie, un peu comme les Vierges des églises chrétiennes. Cependant, comme tout est analogie, les cercles qui sont figurés sur ce manteau (à l’origine du surnom disgracieux d’« idole à boutons » !) sont aussi des seins, indiquant très nettement le caractère de « Mère innombrable » de cette divinité des tertres dont nous ne connaissons évidemment ni le nom, ni le culte qui lui était rendu. Il faut aussi remarquer l’une de ces représentations : la Déesse n’est plus revêtue, mais en quelque sorte ouverte, vue de l’intérieur grâce à des arborescences qui peuvent être aussi bien un motif végétal qu’une schématisation des poumons – un symbole du souffle vital grâce auquel s’opèrent les délicates métamorphoses alchimiques de la renaissance. Plus que jamais, la Déesse des Commencements est présente, veillant au sort de chacun de ses innombrables enfants.
Car ces représentations, qui tendent vers un géométrisme pur, paraissent chargées d’un message à la fois magique et métaphysique. C’est encore plus net dans le magnifique cairn de Gavrinis, en Larmor-Baden, sur une île du golfe du Morbihan, probablement le plus beau monument de ce type en France, et même dans le monde entier, tant la richesse et l’abondance des motifs sont remarquables.
Métaphysiquement parlant, il s’agit d’exprimer un perpétuel processus de métamorphose dont la Déesse est la personnification : elle n’est pas statique, puisqu’elle crée sans cesse des formes nouvelles, des ondulations, des vibrations qui se répandent à partir d’un point central sur un univers illimité. On reconnaît en effet à Gavrinis la fameuse idole en écusson, mais doublée, triplée, multipliée. On a voulu y voir les vagues de la mer, des spirales ou encore des arborescences : c’est loin d’être contradictoire puisque la Déesse ne peut être perçue que manifestée . Elle est donc, en elle-même, la puissance divine, ou cosmique, cause première et absolue de toute existence. Tous les supports de Gavrinis sont gravés, et ils expriment tous cette présence « ontologique » de la Déesse : ils expliquent la création.
Il est cependant impensable qu’une telle réflexion métaphysique n’ait point été accompagnée d’une forme de magie rituelle. Bien que l’on ne puisse que conjecturer en ce domaine, il est permis d’imaginer des séjours initiatiques à l’intérieur de ce genre de monuments, ne serait-ce que pour s’imprégner du mouvement qui envahit l’espace, de façon à déclencher une sorte de « décrochage » de la conscience vers des états supérieurs, une véritable prise directe sur un autre monde. C’est là qu’apparaît la double fonction du tertre mégalithique, longtemps considéré comme un simple monument funéraire : s’il l’est, ce qui est évident, il est aussi sanctuaire. Et la comparaison avec les autres cairns en différents pays d’Europe, surtout en Irlande, ne peut que plaider en faveur de cette fonction de sanctuaire, prototype incontestable des innombrables églises placées sous le patronage de Notre-Dame.
Sur l’un des supports de Gavrinis, la figuration divine est réduite à sa plus simple expression : il n’y a plus qu’un ventre féminin, avec l’ouverture vulvaire. Mais tout autour, se trouvent les représentations de onze haches non emmanchées qui sont des symboles phalliques, et des lignes en chevrons qui évoquent des épis de blé, ou tout au moins d’épeautre. Fécondité de la Déesse aux multiples amants ? Sans aucun doute. Un autre support démultiplie la Déesse labyrinthique (encore un symbole utérin) sur les trois niveaux supérieurs, tandis que le niveau inférieur, bien délimité, présente des cercles semi-concentriques, deux haches et plusieurs serpents : on reconnaît bien là l’antique Déesse aux serpents qui a hanté l’humanité depuis l’aube des temps. Et sur la paroi du fond de la chambre dite funéraire (mais qui est une sorte de saint des saints), la Déesse néolithique apparaît dans toute sa splendeur et toute sa complexité, multipliée, labyrinthique, donc secrète, mais inévitablement liée aux signes serpentiformes et à la hache. À la fois axe du monde, protectrice et destructrice (la hache), elle est aussi celle qui s’insinue partout (le serpent, ou plutôt une serpente , une vouivre aux métamorphoses
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