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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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vue : le Dieu des juifs est « maître des armées », justicier et vengeur, exclusif, législateur sans pitié, jaloux, parfois raciste, tandis que le Dieu des Grecs est avant tout celui de la connaissance, de la dialectique, de la mesure, volontiers multiforme, et soumis lui-même à un destin qui lui échappe autant qu’à tous les êtres vivants. Le monothéisme paternaliste s’oppose alors à une sorte de polythéisme, ou tout au moins à une définition multifonctionnelle de la divinité, celle-ci étant beaucoup plus abstraite qu’il n’y paraît, parce que revêtue de colorations destinées à la rendre accessible au commun des mortels. Coincé entre ces deux notions, le christianisme a choisi : Dieu est amour, affirme-t-il, car l’amour est ce qui unit les contraires. Tel est d’ailleurs le sens profond du message évangélique. Telle est l’innovation fondamentale qu’apporte le christianisme à l’humanité 59 .
    Et, en dernière analyse, c’est ce qui explique l’expansion de la nouvelle religion parmi toutes les couches de la population : le langage qui va être utilisé n’est plus un langage juridique, comme chez les Romains et chez les juifs pour qui les rapports entre l’humain et le divin étaient régis de façon contractuelle, et il n’est pas non plus un langage intellectuel à propos d’un dieu invisible discuté par les philosophes grecs ou même par les druides celtes. Le christianisme va s’adresser à ce qu’il y a de plus profond et de plus commun chez les êtres humains, la sensibilité. Et s’il est vrai que, selon Jean-Jacques Rousseau, l’origine du langage est à chercher dans l’expression des émotions et des sentiments, le discours chrétien ne pouvait que réveiller les pulsions d’amour que des siècles de spéculations intellectuelles avaient eu tendance à étouffer. Désormais, ce ne sera plus par l’observance minutieuse d’un contrat avec la divinité, ni par la compréhension de cette divinité que l’être humain obtiendra son salut, mais par un acte d’amour pouvant même aller jusqu’au sacrifice de sa propre vie au profit de l’ Autre . Et l’antique justice divine, marquée par la loi du talion, va laisser place à la charité, acte gratuit qu’illustre magnifiquement la représentation de l’archange saint Michel faussant la pesée des âmes en appuyant son épée sur le plateau le plus léger de la balance.
    Mais le Dieu des chrétiens est quand même le Yahveh hébraïque, revu et corrigé par les images de Zeus ou de Jupiter. Il est, sinon le Père des dieux, du moins le Père de Tout, et cette masculinité totale, absolue, est en contradiction avec la notion de tolérance et de pardon. Nécessairement, le Père est celui qui ordonne et qui châtie, et c’est la Mère qui intercède, ou qui pardonne. Or, la Mère a été éliminée du nouveau langage religieux, parce qu’elle évoquait trop de rituels païens. Les disciples de Jésus sont tous des hommes, même s’il a fallu éliminer le visage de Marie de Magdala, et la Trinité est considérée comme masculine. Cela ne pouvait durer, et c’est de la base même que l’antique image de la femme divine va refaire surface et prendre un essor si impétueux que les Pères fondateurs de l’Église vont devoir en tenir compte et canaliser cet élan. Ainsi va naître le culte de la Theotokos , la Mère de Dieu, que le concile d’Éphèse, en 431, va se résoudre à officialiser définitivement.
    Ce n’est évidemment pas par hasard si cette position doctrinale a été prise à Éphèse, puisque cette ville était vouée depuis la plus haute Antiquité à la vénération de la Grande Déesse, celle que certains textes appellent la Diane d’Éphèse, et dont le nom recouvre une multitude de divinités féminines surgies d’innombrables traditions. Par la même occasion, on s’est efforcé de reconnaître à l’intérieur même de la ville d’Éphèse la maison qu’aurait habitée la Vierge Marie en compagnie de l’apôtre Jean. Dans la citadelle de l’antique déesse du Proche-Orient, on ne pouvait pas faire mieux pour honorer la Mère de Dieu.
    Car l’essentiel était de canaliser cette pulsion d’amour qui portait les nouveaux chrétiens à implorer la Mère pour qu’elle fût leur médiatrice, celle qui pouvait comprendre leurs faiblesses, leurs erreurs, celle en qui s’incarnait l’amour d’une mère pour ses enfants, celle vers qui convergeaient tous les regards

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