La grande déesse
de Saint-Sernin, mais inversé, présentant une double spirale trop nette pour être due au hasard ou à la fantaisie de l’artiste. À l’extérieur du visage, se trouvent deux bras en équerre et, au-dessous, placée horizontalement, une sorte de crosse qui pourrait être également une hache, donc un symbole de puissance. « Cela ressemblerait davantage à la tête d’une chouette qu’à un visage humain et produirait volontiers une impression d’effroi, impression sans doute voulue par les artistes qui ciselèrent ces étranges statues 33 . »
Cette impression d’effroi est évidemment liée aux croyances concernant les hiboux et autres oiseaux de nuit crédités du pouvoir d’annoncer des deuils ou de porter malheur. Mais l’image de la chouette se réfère encore une fois à la déesse Athéna, comme on l’a vu dans les grottes du Petit-Morin, à Coizard (Marne). Ce n’est pas le seul exemple : le même motif apparaît sur un vase découvert dans la nécropole de Los Millares, en Espagne, sur de nombreux vases d’Hissarlik, sur le plateau d’Anatolie (Turquie), et surtout sur le célèbre cylindre de craie de Folkton, en Grande-Bretagne. L’identification – symbolique – de la Déesse à la chouette n’est donc pas locale : elle correspond à une spéculation métaphysique sur la « clairvoyance » de la divinité.
En France même, la stèle de Bouisset en Ferrières-les-Verreries (Hérault) en constitue une parfaite illustration : ici, la gravure est limitée à une tête de chouette parfaitement reconnaissable, et pour le moins réaliste. Il ne viendrait pourtant à personne de prétendre qu’on se trouve en présence d’une « divinisation » de l’animal connu sous le nom de chouette. Ce sont les possibilités réelles de la chouette, oiseau capable de voir dans l’obscurité, qui sont ici mises en relief : le monde nocturne, donc invisible aux non-initiés, n’est accessible que si un regard perce l’ombre afin de parvenir à une lumière. La chouette est donc l’animal le plus apte à recevoir ces messages venus d’ ailleurs , puisqu’elle voit ce que les autres ne voient pas et qu’elle est capable de se diriger sans hésitation dans un univers qui échappe complètement aux catégories rationnelles du cartésianisme français.
Dans la mythologie grecque, la chouette est l’emblème d’Athéna, la Minerve latine, déesse de l’intelligence et des techniques qui en découlent. Elle naquit, disait-on, tout armée du cerveau de Zeus (logique : la guerre est une technique comme une autre !), qui est le maître de l’action dans le monde des relativités, mais non le dieu primordial. Athéna est donc l’incarnation de l’intelligence divine au service des humains, et c’est à ce titre qu’elle protège les citoyens (et non pas les autres habitants) d’Athènes, nom pluriel en grec et dont l’étymologie demeure obscure. Il est probable qu’on ait tardivement voulu rattacher le nom de la grande cité grecque à celui d’une divinité plus ancienne. Quelle est donc cette Athéna primitive ?
Elle paraît avoir été la même que l’Artémis archaïque, devenue ensuite la Diane d’Éphèse, ce lieu étant consacré depuis la nuit des temps au culte de la Vierge mère, et qui, ce n’est pas un hasard, sera le théâtre du fameux concile chrétien où fut affirmé le dogme de la Theotokos . Artémis, sous quelque nom qu’elle apparaisse, est la déesse mère originelle dont le caractère solaire a été ensuite confisqué au profit de son frère jumeau Apollon, et dont les racines plongent au plus profond de la mythologie indo-européenne.
Or, dans ce qui nous reste de la mythologie des Scythes, peuple indo-européen des steppes de l’Asie centrale, à savoir les épopées traditionnelles des Ossètes, à propos de la tribu privilégiée des Nartes, apparaît un personnage féminin tout à fait extraordinaire qui porte le nom de Sathana, sorte de déesse mère que sa puissance magique et ses transgressions sexuelles placent en dehors du commun 34 . Et, comme il se doit pour toute entité mythologique irrécupérable par le christianisme, son nom de Sathana, probablement très récent, provient d’une véritable « diabolisation » facilitée par une vague homophonie. Ce n’est pas le seul exemple de ce genre, puisque, dans la tradition hébraïque, la mystérieuse Lilith, probablement la mère d’Adam à l’origine, donc le premier être humain, a
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