La grande déesse
peintures de la fin du Moyen Âge, en particulier sur le tableau du maître flamand, La Vierge et l’Enfant , actuellement au musée des Beaux-Arts de Dijon (Côte-d’Or) : ici, le sein droit de la Vierge est bien rebondi, bien visible, même si l’Enfant paraît s’en désintéresser complètement, le regard perdu dans le vague. Une certaine sensualité apparaît dans cette composition, et elle est encore accentuée dans le célèbre tableau de Jean Fouquet, La Vierge à l’Enfant , actuellement au musée royal des Beaux-Arts d’Anvers (Belgique), où la robe de la Vierge, largement échancrée, peut paraître inconvenante pour une œuvre religieuse. Mais cette peinture de Fouquet était-elle vraiment destinée à un édifice religieux ? On sait que le modèle suivi par Fouquet pour représenter la Vierge était Agnès Sorel, la Dame de Beauté, la maîtresse en titre du roi Charles VII. Le temps n’est pas loin où les formes prêtées aux personnages surnaturels vont de plus en plus se colorer d’une ardente sensualité. Mais ces œuvres sont des exceptions : un type domine largement, celui de la madone classique dont les exemples sont innombrables. Tout au plus peut-on signaler, parmi les plus remarquables, la Vierge au Trumeau sur le portail nord de la façade ouest de Notre-Dame de Paris, ou encore la Vierge dorée, à la remarquable douceur du visage, de la cathédrale d’Amiens (Somme).
Car si les attitudes ne changent guère et tendent à former des stéréotypes que les époques suivantes prolongeront, on en arrive de plus en plus à une sorte de « transfiguration » du visage de la Vierge. Ce n’est plus la passivité des statues primitives ou le mystère voulu de certaines représentations qui mettent en avant le caractère hiératique de la Mère de Dieu, modèle de perfection et de pureté, mais c’est la recherche passionnée d’un regard de tendresse tel qu’on en attend d’une mère humaine, la mère commune de tous les hommes si l’on en croit l’Évangile, puisque Jésus, avant de mourir sur la Croix, a fait de Marie la mère de l’apôtre Jean, et à travers lui de tous les êtres humains. Cette tendresse, on la retrouve continuellement à la fin du Moyen Âge : la Vierge Marie ne peut être que bonne , voulant le bonheur de tous ses enfants ; elle ne peut être que douce comme on suppose qu’elle l’a été avec l’Enfant Jésus. Et puisque le rôle d’une mère humaine est de nourrir, d’élever, d’éduquer, de consoler, le rôle de Marie ne peut être différent. De ces réflexions, qui sont autant de certitudes répandues chez l’ensemble des chrétiens, va naître le concept essentiel de médiatrice : si Jésus, et par conséquent Dieu, est lointain, parfois exigeant, toujours juste, il est préférable, lorsqu’on n’est pas sûr de soi, lorsqu’on se croit entaché de fautes, de prendre un avocat pour défendre sa cause. Et qui serait un avocat meilleur et plus efficace que la propre mère du Sauveur ? Tel est le message que nous délivre le tympan du portail royal de la cathédrale de Chartres (Eure-et-Loir) : il s’agit du jugement dernier, et le juge suprême est Jésus ; mais à la droite de celui-ci, Marie est à genoux, les mains jointes, et suppliant son Fils d’être généreux, indulgent envers ceux des humains qui se pressent devant lui. Ce type de Vierge orante apparaîtra donc bien souvent sur les portails des églises, surtout dans les représentations du jugement dernier. Sur le portail nord de Notre-Dame de Paris, où se trouve présentée la célèbre histoire du clerc Théophile, qui avait vendu son âme au diable et fut racheté par la Vierge, celle-ci apparaît nettement comme celle qui intercède, celle qui, par amour filial, se dévoue pour sauver le moindre de ses enfants, fût-il un grand criminel, eût-il renoncé de lui-même à son salut éternel. Le thème aura une grande diffusion dans toute l’iconographie chrétienne ultérieure, et cela jusqu’à nos jours.
La Mère de Dieu est donc une femme parmi d’autres, avec tous les sentiments humains que cela suppose. Quelles que soient les significations symboliques des événements supposés de la vie de Marie, ces événements peuvent concerner la vie de n’importe quelle femme de ce monde, à n’importe quelle époque : le thème est universel, et, de même qu’on voyait dans l’Antiquité païenne Déméter pleurer la perte de sa fille Korè, ou Cybèle se
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