Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
Vom Netzwerk:
du ciel où apparaît, dans une gloire fantastique, l’image de la Vierge avec son enfant. Antoine Caron était nourri de notions traditionnelles et tentait une synthèse permettant de souligner la continuité des croyances religieuses en dehors de toute idéologie. Il n’en reste pas moins vrai que cette représentation demeure énigmatique tant les symboles employés sont nombreux et hétérogènes.
    Mais quelle que soit la formulation, l’idée qui domine est celle de la mère de tous les hommes. Le thème de la Vierge au manteau est certainement le plus révélateur de cette vision. Le tableau d’Enguerrand Quarton, à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance, et qui se trouve au musée de Villeneuve-lès-Avignon, est l’un des plus remarquables sur ce sujet. La Vierge, immense, au milieu de l’œuvre, ouvre son manteau dans un geste qui ne semble pas protecteur, mais qui tend à montrer quels sont ses enfants : ils sont nombreux sous le manteau, y compris papes et évêques, comme si Marie ouvrait son ventre maternel pour donner naissance à l’humanité. De chaque côté de la Vierge se tiennent saint Jean le Baptiste et saint Jean l’Évangéliste. Quand on sait que le calendrier chrétien divise l’année en deux séquences axées sur la Saint-Jean d’été (le Baptiste) et la Saint-Jean d’hiver (l’Évangéliste), deux fêtes symboliques qui marquent la position de la Terre au plus haut et au plus bas de l’horizon solsticiel, on ne peut manquer d’interpréter cette vision extraordinaire et extatique comme l’expression de la totalité de l’univers au sein même de la Theotokos. La Vierge n’est pas seulement la Mère de Dieu : elle est la Mère universelle, et, à ce titre, nous sommes tous des Christ. C’est le message délivré par l’Évangile. Tel est le sens profond de la quête chrétienne, message qui s’est souvent perdu dans les méandres d’une religion gangrenée par une morale dualiste et primaire, mais dont le sens resurgit de l’inconscient humain par la main des artistes, à coup sûr inspirés par l’Esprit.
    Pourtant, dans les siècles qui ont suivi la Renaissance, rares sont les œuvres qui n’obéissent pas aux règles d’un formalisme figé. Les modèles sont désormais fixés par la coutume, et tous ceux qui dérogent à cette coutume, s’ils ne risquent plus de se retrouver sur le bûcher, sont condamnés à une certaine occultation. C’est l’époque de la Raison et, par conséquent, nul ne peut échapper à une rationalisation de l’image qu’on se fait de la Mère divine. La Madone, la Vierge orante, la pietà, la Mater dolorosa , tout cela se confond dans une imagerie conventionnelle, d’où est exclue toute référence sexuelle, la Vierge devenant une sorte d’entité désincarnée, totalement abstraite, et qu’on ne peut représenter que par une femme neutre , ascétique, évaporée, édulcorée, inexistante. Le chemin a été long des Vierges plantureuses de la Renaissance aux stéréotypes saint-sulpiciens mis à la mode depuis les apparitions de Lourdes, mais ce chemin est révélateur d’une incroyable censure renforcée à l’époque dite victorienne en Grande-Bretagne, qui n’est autre que celle de la pudibonderie et de la castration. Oubliées les nonnes mystiques et sensuelles de l’ancien temps qui prétendaient jouir du Christ. Oubliées les déesses mères aux seins multiples parce que « mères innombrables ». L’image de Notre-Dame de Lourdes, revue et corrigée par le clergé catholique romain pour justifier et répandre l’idéologie de l’Immaculée Conception, s’est finalement imposée comme un modèle obligatoire qu’il n’était pas permis de modifier. L’art religieux, devenu art officiel, souvent encouragé et officialisé par les penseurs de la République française laïque – et finalement agnostique –, allait devenir un motif décoratif au même titre que les entrelacs irlandais ou les décorations des colonnes corinthiennes. Par là même, le concept de la Vierge Marie, Mère universelle, allait complètement s’estomper pour laisser place à un personnage inexistant dont la féminité pouvait se résumer à une passivité absolue face à un pouvoir androcratique trop visible dans le sein de l’Église romaine. L’immonde statue de Notre-Dame de France qui domine le site sacré du Puy-en-Velay n’est-il pas l’exemple de cette récupération laïque et soi-disant patriotique du concept

Weitere Kostenlose Bücher