Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
Vom Netzwerk:
et occultée au profit du Sauveur, nécessairement masculin puisque capable de virilité et de puissance.
    C’est évidemment dans l’empire byzantin, dernier reflet de la prétention romaine à dominer le monde, mais miroir fidèle de la mémoire ancestrale du Proche-Orient, que se manifestèrent les premières représentations de la Mère de Dieu. Certes, cette représentation ne fut pas acceptée d’emblée : il s’agissait de savoir s’il était décent de figurer la Mère divine sous une forme humaine, car un simple symbole utérin, tel qu’on en voit sur les parois des grottes paléolithiques aurait pu suffire à perpétuer le concept de divinité maternelle primitive. Mais, contre l’abstraction théologique des juifs, le réalisme philosophique des Grecs et la mode historicisante des Romains prévalurent et éliminèrent tous les scrupules. Il fallait avant tout rendre concrète une abstraction : quoi de plus naturel que l’image d’une mère, sous-tendant un monde infini de tendresse, de résignation, d’espérance et d’amour ? La vieille déesse mère qui, bien que génitrice, n’en restait pas moins une femelle en chaleur allait se retrouver dans l’image épurée de la Magna Casta , l’épouse très chaste du non moins chaste Joseph, lequel ne jouait pas un autre rôle que celui des prêtres castrés de la magnifique et triomphante Cybèle, l’éternelle Rome dont le christianisme allait reprendre intégralement la volonté de puissance.
    Incontestablement, qu’elles fussent attribuées ou non à saint Luc, les premières représentations de la Vierge Marie sont dues aux artistes byzantins, derniers mystes de la déesse mère, et qui surent magnifiquement assurer le lien entre la Prostituée de Babylone et la Vierge exempte de toute souillure. Il suffisait de déplacer l’instinct sexuel et d’en faire le moteur même de l’ agapê . Ainsi a-t-on connu très tôt trois types fondamentaux de représentations nés des convergences entre des civilisations mystiques (Palestine, Mésopotamie, Phrygie, monde dit barbare et monde hellénistique) et des civilisations philosophiques (Grèce et Iran, voire Inde brahmaniste ou bouddhiste). Ainsi virent le jour des peintures et des sculptures représentant la Hodigitria , portrait supposé de la Vierge en buste, la main droite sur la poitrine et tenant l’Enfant Jésus – la madone classique –, puis la Nikopeia , la « dispensatrice de victoire », dans une attitude royale avec son divin fils trônant sur ses genoux comme un roi, enfin la Vierge dite « orante », celle qui intercède en faveurs de ses multiples et innombrables enfants que sont les humains. Ces trois types de représentations sont les plus anciens et ont donné naissance en Occident à un nombre incalculable de variantes, selon les motivations qui inspiraient chaque peintre ou sculpteur.
    Cependant, si l’on ne peut douter de l’existence, à partir du V e  siècle, d’une multitude de représentations mariales tant en Occident qu’en Orient, il est rare d’en découvrir d’authentiques ; ce n’est pas tant l’action du temps qui est responsable de ces lacunes, que les destructions systématiques qui se sont produites pendant plus d’un siècle, entre 725 et 842, au moment de la fameuse querelle des iconoclastes. Sous cette querelle, apparemment formaliste, se profilaient d’ailleurs des thèses idéologiques bien plus profondes concernant l’antagonisme entre le monophysisme, qui voyait en Jésus-Christ une seule nature, et le nestorianisme, qui distinguait en lui une nature humaine et une nature divine. De plus, il faut bien reconnaître que les iconoclastes, dans leur fanatisme destructeur, visaient avant tout d’innombrables survivances du paganisme à travers les représentations de ce qu’on appelait alors les « faux dieux ». Il fallut attendre 843 pour que le culte rendu aux images, peintures, statues ou sculptures, soit définitivement admis dans la religion chrétienne officielle, cela en partant du principe que tout ce qui a été vu peut être reproduit, les témoignages scripturaires faisant foi de cette réalité visible. Désormais, plus rien ne s’opposait à ce que l’on représentât la Vierge Marie, Mère de Dieu, au même titre que Jésus lui-même, tous ses apôtres, ainsi que tous les saints et les martyrs.
    Mais le problème se pose, et est loin d’être résolu, de savoir si ces représentations sont des créations

Weitere Kostenlose Bücher