La grande déesse
chrétiennes ou des récupérations d’objets cultuels antérieurs au christianisme. La période des iconoclastes a suscité d’innombrables anathèmes contre le culte des idoles, pierres, arbres ou statues, mais, malgré diverses condamnations par les conciles, notamment sous le règne de Charlemagne, les usages et les objets de culte idolâtre se sont maintenus à travers tout l’Occident, à tel point que le clergé, ne pouvant les extirper, s’est résigné à les « baptiser ». Il ne faisait d’ailleurs qu’appliquer la fameuse formule de saint Augustin ( Épître à Publius , 47) : « Quand les temples, les idoles, les bois sacrés […] sont détournés de leur première destination et mis au service du vrai Dieu, leur cas est celui des hommes qui se détournent du sacrilège et de l’impiété, pour se convertir à la vraie religion. » C’est un aveu. Combien de Vierges Maries, une fois découvertes miraculeusement , et parfois légèrement retouchées, toujours repeintes et habillées, voire couronnées, sont en réalité des idoles païennes mises au service de la religion chrétienne ?
Il est également difficile et presque toujours impossible de repérer chronologiquement ces diverses représentations : certaines ne sont que des copies plus ou moins fidèles de figurations antérieures, d’autres ont été complètement revues et corrigées en fonction des impératifs socioculturels, quelques-unes même des reconstitutions conjecturales, comme c’est le cas pour les statues brûlées au moment des guerres de Religion ou de la Révolution. Mais elles témoignent toutes de la permanence de ce culte de la déesse mère, quelle que soit sa dénomination, tel qu’il est attesté depuis le début de l’histoire humaine.
À cet égard, l’une des plus fantastiques réalisations, et en même temps l’une des plus belles bien que parmi les moins connues, est la Vierge de Majesté qui se trouve dans l’église de Saulzet-le-Froid (Puy-de-Dôme). Caractéristique de l’art médiéval auvergnat, cet ensemble de la Vierge tenant son fils sur les genoux, dans une attitude qui évoque une profonde vision intérieure, est inoubliable. L’habillement de la Mère évoque irrésistiblement les gravures dolméniques comme celles de Gavrinis, en Bretagne, témoignant ainsi de la permanence d’un symbolisme issu de la nuit des temps. Ces courbes semi-concentriques, repérables sur plusieurs Vierges auvergnates, sont à la fois des chevelures, les vagues de la mer, les ondulations d’un champ de blé mûr sous le vent et les grandes lignes de force de l’univers tant de fois mises en valeur dans les gravures mégalithiques et dans les ornementations celtiques. On serait tenté de dire que la Vierge de Saulzet-le-Froid est une copie de l’antique Déesse des dolmens : même les mains de la Mère, qui semblent protéger le Fils, sont des tracés qui indiquent clairement que le centre de l’univers se situe dans le Fils plaqué contre le ventre de celle qui a donné naissance à Dieu – et par conséquent à tous les êtres vivants. La spéculation métaphysique est ici plus intense que jamais, et elle dépasse toutes les interprétations proprement esthétiques qu’on pourrait oser à ce sujet. Cette Vierge date du XII e siècle, mais rien ne dit qu’elle ne soit pas la copie d’une représentation antérieure. Elle plonge au plus profond du passé mystique de l’Occident, davantage que cette Vierge de Saint-Nectaire, très célèbre et dont la beauté n’est pas contestable.
Toute différente devait être l’ ancienne statue de Notre-Dame-du-Puy-en-Velay (Haute-Loire), si l’on en croit une réplique rustique qui en a été faite avant sa destruction pendant la Révolution 61 . Il s’agit ici de cette catégorie de représentation qu’on appelle des Vierges noires. La Mère est debout, Jésus également, tout contre elle, et tous deux ont d’étranges bonnets sur la tête, comme s’il s’agissait du souvenir de la tour qui ornait le sommet de Cybèle, la fameuse Cybèle turrigère si commune pendant le haut empire romain, mère de tous les dieux et de tous les hommes, héritière à la fois de la Déesse des Commencements du Proche-Orient, de la Herda germanique, de la Dana-Dôn celtique, ainsi que, on l’oublie trop souvent, de la mystérieuse turanna , la « tyran » des Étrusques, celle qui donne la vie et la mort, autrement dit la maîtresse des destins.
Ce type de
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