La grande guerre chimique : 1914-1918
tâche contre son action. Malgré leur résistance aux gaz supérieure à
celle des hommes, les animaux finissaient par s’effondrer, victimes de
pathologies oculaires ou pulmonaires. Des protections respiratoires furent conçues
pour les chevaux mais elles étaient mal tolérées. De plus, les membres des
animaux restaient particulièrement sensibles aux brûlures causées par le
sulfure d’éthyle dichloré. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons qui présida,
immédiatement après la guerre, à la motorisation des unités d’artillerie. L’inconvénient
majeur des tirs d’interdiction tenait essentiellement à l’usure rapide des
tubes des canons en raison de la température à laquelle ces derniers étaient
soumis lors des cadences élevées exigées par ces pilonnages. Néanmoins, le tir
de contre-batteries fut l’un des domaines dans lesquels les obus chimiques se
révélèrent les plus utiles.
Les améliorations tactiques dans le domaine de l’artillerie
chimique étaient essentiellement liées aux enseignements empiriques du front.
Ainsi, comme le notait le général Hartley en 1920 : « Nos
méthodes s’améliorèrent rapidement au cours de l’année 1917. Dans un premier
temps, nous avions négligé la question de la cadence des tirs mais nous sommes
vite parvenus à la conclusion que cet aspect jouait un rôle capital. Les tirs
de concentration se révélèrent très efficaces et nous avons réalisé que le
nombre d’obus nécessaire pour obtenir l’effet désiré était bien supérieur à ce
que nous pensions initialement. » [625] En effet, si l’artillerie chimique présentait de nombreux avantages par rapport
aux vagues, la maîtrise de son utilisation était beaucoup plus subtile. Pour
produire des effets équivalents à un lâcher de 20 t de chlore-phosgène sur
une surface de 1 km 3 , les artilleurs
français avaient calculé qu’il fallait pilonner la même surface pendant une
heure au moyen de 1 300 pièces de 75 mm et 40 000 obus [626] . À l’été 1917,
en l’absence de gaz persistant, les directives françaises recommandaient « des
tirs précis, sur des objectifs précis » et « pas d’arrosages sur d’énormes
surfaces » [627]
Lors de la bataille d’Arras en avril 1917, les
artilleurs britanniques utilisèrent deux types de munitions chimiques :
les CBR (mélange de chlorure d’arsenic et de phosgène) et les JBR (mélange de
cyanure d’hydrogène, de chloroforme et de chlorure d’arsenic). Après cet
épisode, et particulièrement lors de la journée du 9 avril, les forces
britanniques aboutirent aux mêmes conclusions que les stratèges français et
admirent l’inutilité des bombardements sur des surfaces étendues. Dès le mois
de juin 1917, un rapport formalisait ces enseignements :
« Les résultats obtenus à la suite d’attaques
récentes ont clairement montré que les obus chimiques tirés en grande quantité
sur des cibles ponctuelles présentent un intérêt important lors des phases
préparatoires aux offensives. Ils peuvent être utilisés de manière extensive
dans les circonstances suivantes : a) Au cours de la préparation d’artillerie
afin de réduire l’activité de l’artillerie ennemie, d’affaiblir des positions
retranchées, d’entraver le ravitaillement et les communications de l’adversaire
(le moral de l’ennemi s’en trouve alors considérablement affecté), de causer
également de lourdes pertes par des tirs soudains et massifs de munitions
létales sur des objectifs ponctuels, b) Au cours de l’assaut :
pilonnage des batteries ennemies à l’aide d’obus létaux suivis de projectiles
lacrymogènes à une cadence plus réduite (dans tous les cas, l’efficacité des
artilleurs allemands est réduite par le port obligatoire des masques
respiratoires), c) Après une attaque victorieuse : les batteries
positionnées sur le flanc de l’attaque doivent reproduire les tactiques
exposées en a). L’utilisation des munitions chimiques létales est en effet particulièrement
efficace contre une troupe désorganisée et les lacrymogènes entravent l’activité
en arrière des lignes ennemies. » [628]
Au mois de mars 1918, les Britanniques remanièrent
leurs instructions relatives aux obus chimiques [629] . Ces directives
distinguaient également les tirs d’attrition et les tirs de neutralisation
(Surprise Bursts). Malgré la clarté didactique des consignes exposées, elles
présentaient des
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