La grande guerre chimique : 1914-1918
puis de poursuivre, à un rythme ici encore
irrégulier et relativement faible, avec des obus lacrymogènes.
Malgré les progrès des protections respiratoires, les
belligérants continuèrent à utiliser cette technique jusqu’au printemps 1918.
À cette date, les Allemands avaient remplacé l’obus croix verte par
l’obus croix jaune à l’ypérite, particulièrement approprié aux tirs
d’attrition. En juillet 1918, ce procédé fut utilisé contre les troupes
australiennes près de Villiers-Bretonneux : toutes les nuits, près de 10 000 obus
au gaz moutarde s’abattaient sur les positions australiennes. Après la guerre,
ce souvenir évoqua au général australien Sir John Monash le commentaire
suivant : « Ces attaques chimiques étaient particulièrement pénibles.
Pendant le pilonnage, les hommes devaient bien sûr revêtir leurs masques mais
une fois l’odeur caractéristique du gaz évanouie, ils s’empressaient de l’ôter.
Par temps chaud, le poison, qui s’était répandu en vastes flaques, se
vaporisait peu après, causant un grand nombre de victimes. Ces attaques, et la
crainte qu’elles suscitaient, rendaient la vie en premières lignes
insupportable. » [620]
L’une des figures les plus marquantes de l’artillerie
chimique fut sans conteste un officier supérieur allemand, le major Georg
Bruchmüller [621] .
Considéré par certains de ses contemporains comme un génie dans le domaine de l’artillerie,
Georg Bruchmüller effectua de nombreuses études sur la façon dont les Allemands
mais aussi les Français avaient utilisé des combinaisons de projectiles
conventionnels et chimiques sur des cibles ponctuelles lors de la bataille de
Verdun. À ce moment de la guerre, la pénurie de munitions chimiques empêchait
de saturer véritablement les positions ennemies et Bruchmüller mit en évidence
la trop faible cadence de tir adoptée lors de ces pilonnages. Fort de ces
conclusions, Georg Bruchmüller résolut de tester sa méthode sur le secteur où
il se trouvait affecté. Une première tentative eut lieu le 1 er novembre 1916
sur des batteries russes, dans la région de Witoniz. Puis, en avril 1917,
près du pont de Toboly sur la rivière Stochod, il soumit les forces russes à
des bombardements chimiques relativement brefs et ponctuels mais extrêmement
intensifs. Trois mois plus tard, il réédita l’expérience en Galicie. Ces
tentatives s’avérèrent remarquablement efficaces. Le major Bruchmüller
utilisait une savante combinaison d’obus explosifs et d’obus chimiques [622] .
En raison des codes de couleur utilisés sur les projectiles allemands, sa
tactique fut rapidement connue sous le nom Buntkreuzschiessen ou Buntschiessen (littéralement « Tir de couleur » ou « Tir
multicolore »). La cellule constituée par Bruchmüller dans sa division
attira l’attention de l’OHL, qui, au cours de l’hiver 1918, décida son
rattachement au grand quartier général sur le front occidental. La tactique d’assaut
mise au point par Georg Bruchmùller, et que les Alliés adoptèrent également au
cours des dernières semaines de la guerre, était grossièrement la suivante :
« a) Des obus chimiques pendant dix minutes à
cadence maximum sur toutes les positions tenues par l’infanterie, les postes de
commandement de l’artillerie, les centres de communications et de commandement,
b) Des obus conventionnels et chimiques pendant soixante-cinq minutes sur
les axes de ravitaillement, de communication ainsi que sur les positions d’artillerie,
c) 70 % d’obus croix bleue, 10 % d’obus croix verte,
et 20 % d’obus explosifs sur les positions de l’artillerie ennemie et sur
les cibles de deuxième échelon. Tirs de mortiers sur les positions de l’infanterie
pendant quatre-vingt-cinq minutes, d) Au moment de l’assaut, feu roulant, en
avant de notre infanterie, avec 30 % d’obus croix bleue, 10 % d’obus
croix verte, et 60 % d’obus explosifs. Le feu chimique doit former un
barrage à une distance minimale de 600 m devant nos troupes. » [623]
L’objectif poursuivi par Bruchmüller consistait à désorganiser
les communications et la logistique ennemies, puis neutraliser l’artillerie, et
enfin faciliter la progression de l’infanterie en réduisant la capacité au
combat des fantassins adverses.
Dans le chapitre précédent, on avait déjà évoqué la mauvaise
volonté avec laquelle les artilleurs se pliaient aux développements
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