La grande guerre chimique : 1914-1918
derrière un vaste et efficace réseau de fortifications sur le Rhin
et la Moselle [108] .
Dès lors, Moltke préconisait une offensive limitée à l’est pour venir à bout de
la menace russe.
En poste à l’état-major général, où il dirigea différentes
directions avant d’en devenir le chef en 1891, Alfred Schlieffen fut à l’origine
du plan de guerre le plus complexe mais surtout le plus ambitieux de la période
précédant le premier conflit mondial. À partir de 1893, la nouvelle donne
internationale plaçait le pays entre deux puissants ennemis, la France et la
Russie. LAllemagne devait à tout prix éviter d’être prise dans l’étau militaire
constitué par l’alliance franco-russe. Mais, de cette position géostratégique a priori très défavorable, Schlieffen pensa déceler une fantastique
opportunité de victoire. En effet, si l’Allemagne osait risquer une répartition
inégale de ses forces entre les deux fronts, elle disposerait d’une plus grande
puissance afin d’emporter la décision en quelques semaines sur l’un des fronts.
Cependant, tandis que Moltke donnait la priorité à une attaque contre la
Russie, Schlieffen fit le raisonnement inverse. D’une part, il estimait qu’en
cas d’attaque allemande contre la Russie, la réaction française serait
immédiate. Or, en aucun cas, l’Allemagne ne pouvait se permettre de mener
simultanément des opérations militaires d’envergure sur les deux fronts. D’autre
part, les efforts allemands en matière d’aménagement du réseau ferroviaire
offraient au pays un énorme avantage dans les premières semaines de la guerre
en cas d’attaque surprise face à des troupes dont la rapidité de mobilisation
était un peu plus longue (c’était le cas pour la France) ou beaucoup plus (cas
de la Russie, dont le réseau ferroviaire, en 1895, était encore embryonnaire).
Schlieffen insista donc sur la notion d’initiative offensive, clé d’une
victoire rapide, dans la mesure où seule une stratégie d’anéantissement pouvait
mener à la victoire [109] .
Enfin, Schlieffen estimait qu’une offensive contre la France serait beaucoup
plus « payante » que contre la Russie pour des considérations
géostratégiques. L’immensité du territoire russe se prêtait mal à une offensive
éclair, alors que la France n’était pas protégée par une telle profondeur
stratégique. Ses centres vitaux se trouvaient pour la plupart à proximité de la
zone de front initial. De plus, la mobilisation des troupes françaises, plus
rapide que celle des forces russes, obligeait l’Allemagne à attaquer la France
dès le début des hostilités. Tirant les conclusions de ces différentes
hypothèses, Schlieffen élabora son plan en fonction d’un postulat de base :
attaquer en priorité la France. En 1894, Schlieffen acheva son premier plan qui
projetait une attaque frontale en territoire français. Cependant, en raison de
la modernisation des fortifications et des réformes des structures de l’armée
française, ce plan se révélait non seulement très risqué mais également fort « gourmand »
en hommes. Enfin, de 1897 à 1905, Schlieffen mit sur pied le grand plan qui
allait faire sa gloire posthume. Influencé par l’histoire militaire, et plus
particulièrement par la stratégie d’Hannibal à Cannes, il abandonna l’idée de
choc frontal trop coûteux et aléatoire pour l’idée d’une attaque par les
flancs. Dans la mesure où l’aile sud de l’armée française était solidement
retranchée derrière les Vosges et le Jura, l’originalité de son plan consistait
à concentrer une énorme force au nord du théâtre d’opérations afin de traverser
la Belgique et envahir le nord de la France. Ainsi, cette puissante aile droite
allemande pourrait éviter le gros des forces françaises, en opérant une large
poussée de Verdun à Dunkerque, puis contrôler le nord de la France et atteindre
la Somme au bout d’une trentaine de jours, franchir la Seine au nord de Paris,
pour ensuite contourner la capitale par l’ouest et par le sud, désorganiser les
lignes de communications et de ravitaillement de l’armée française. Enfin elle
se retournerait contre une armée française alors piégée en Lorraine et contre
les Vosges. Toute l’opération devait être réalisée en moins de six semaines,
temps nécessaire selon Schlieffen pour que la Russie soit prête à livrer
combat. En 1905, Schlieffen organisa le prépositionnement de
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