La grande guerre chimique : 1914-1918
Plan XVII reposait en effet sur une conviction
hasardeuse : les Allemands n’oseraient jamais mélanger en première ligne
des troupes de réserve avec l’armée d’active. Dès lors, si les Allemands n’attaquaient
qu’avec l’armée d’active, leurs effectifs étaient insuffisants pour progresser
sur deux axes (vers la Belgique et vers la Lorraine). Par conséquent, ils
devraient choisir un axe prioritaire de pénétration. Une offensive allemande
par la Belgique était jugée suicidaire par l’état-major français dans la mesure
où l’insuffisance des effectifs de l’ennemi ne lui permettrait pas de disposer
de l’élan nécessaire pour briser les lignes de défense françaises. Logiquement,
les stratèges français en déduisirent que la bataille décisive aurait lieu en
Lorraine et qu’une concentration de troupes dans cette zone était donc
nécessaire. S’il n’écartait pas l’hypothèse d’une attaque allemande par le
nord, le Plan XVII ne tenait pas suffisamment compte des lacunes de l’armée
française. L’artillerie lourde était très insuffisante et l’armée ne disposait
pas de l’encadrement idoine pour former les réservistes. Le plan français
envisageait d’enfoncer les lignes de défense allemande autour de Metz et de
Thionville, pour se ruer ensuite vers Sarrebourg, Kaiserslautern, Longwy et
Trèves. Le culte de l’offensive, conjugué à la certitude qu’une attaque
allemande par la Belgique était irréaliste, contribua à la rédaction d’un plan
paradoxal, ignorant largement les réalités. En définitive, « la France,
pour s’assurer le concours britannique [101] , fut contrainte
d’adopter un plan stratégique médiocre qui allait recevoir en août 1914 le
brutal démenti des faits et déboucher sur une invasion fulgurante de la France » [102] .
En Allemagne, comme en France, les responsables militaires
glorifiaient l’offensive en des termes extrêmement volontaires. Ainsi, Alfred von Schlieffen
écrivait que « l’attaque était la meilleure des défenses » [103] tandis que Helmuth von Moltke soutenait qu’il était en principe absolument
certain que « l’offensive constituait la meilleure défense » [104] .
Cependant, si, comme leurs homologues français, les stratèges allemands
croyaient aussi en l’offensive et au mouvement, « ils comptaient moins sur
la manœuvre (…) et bien davantage sur le feu » [105] . À la différence
des tacticiens français, les Allemands pensaient que la bataille pouvait
comporter des phases défensives [106] . Par ailleurs,
la guerre à venir devait être imaginée, enfermée dans une série d’hypothèses
claires. Les plans allemands devaient anticiper avec précision et minutie le
déroulement des opérations. Dès que les grandes orientations furent définies,
toutes les troupes disponibles devaient être prépositionnées aux endroits
choisis. Nommé chef d’état-major de l’armée prussienne en 1857, von Moltke
se pencha très tôt sur les bouleversements stratégiques qu’impliquait la
création d’un vaste réseau ferroviaire, notamment du point de vue de la
rapidité de mobilisation et d’acheminement des troupes vers le champ de
bataille. Son raisonnement était le suivant : « La rapidité de
mobilisation et de concentration des armées devient un facteur essentiel de
tout calcul stratégique. En fait, le programme de mobilisation et de
rassemblement de troupes ainsi que les premiers ordres de marche, constitueront
dans l’avenir, le corps même des plans stratégiques élaborés par les
états-majors militaires dans l’attente éventuelle d’une guerre. » [107] Dès la fin de la
guerre franco-prussienne de 1870-1871, von Moltke, imaginant la
possibilité d’une alliance franco-russe, tenta d’élaborer un plan de guerre
raisonnable, prenant en compte cette double menace. Pour le vieux maréchal
prussien, la solution au problème de l’encerclement exigeait le choix impératif
d’un adversaire prioritaire. En fait, il s’agissait de combattre l’un de ces
deux ennemis avec le moins de forces possibles pour vaincre le second avec le
gros des troupes. Par conséquent, Moltke imagina une politique défensive à l’ouest
face à une armée française dont la capacité offensive avait été terriblement
amoindrie par le désastre de 1870. La France ne présentait pas, en effet, un
danger immédiat dans les années 1880 pour une armée allemande solidement
retranchée
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