La grande guerre chimique : 1914-1918
Ainsi, en
soutenant qu’une bataille pouvait être réduite à l’équation « Victoire =
Volonté », Ferdinand Foch concourut à la formation intellectuelle des « jeunes
turcs », pour la plupart officiers d’état-major [85] , qui
contribuèrent à partir de 1911 à la préparation de plans de guerre offensifs ;
ce succès des thèses de l’école de l’offensive à outrance mena aux carnages de
Morhange, Arlon et Charleroi. Comme l’écrivit plus tard le général de Gaulle
en évoquant ces années, « l’offensive avait quitté le terrain de la
réalité guerrière, elle allait transformer en doctrine une métaphysique de l’action » [86] .
L’école allemande
Tandis que l’école française se distinguait par un véritable
culte de l’offensive, les conceptions stratégiques et tactiques allemandes
offraient un visage paradoxalement à la fois plus contrasté et plus nuancé. Si
l’on parvenait également en Allemagne à la conclusion que l’offensive était le
meilleur moyen de parvenir à la victoire, la réflexion allemande ne suivait pas
pour autant ies mêmes méandres que de l’autre côté du Rhin.
Pendant le demi-siècle qui suivit le Congrès de Vienne, l’armée
prussienne fut la seule parmi celles des grandes puissances européennes à ne
mener aucune guerre. Cependant, après avoir facilement vaincu l’Autriche-Hongrie
à Sadowa, elle écrasa la très redoutée armée française. Si l’école française
insistait avant tout sur la supériorité morale comme élément déterminant de la
victoire, les théoriciens allemands, parmi lesquels Friedrich von Bernhardi,
par ailleurs fortement influencés par l’héritage de Clausewitz, estimaient que
la guerre était une énigme qu’il était possible d’élucider par une simulation
préalable : « Le devoir, c’est de résoudre d’avance l’énigme que pose
la guerre. » [87] Il fallait donc imaginer, spéculer, envisager différentes possibilités afin d’échafauder
des plans cohérents ne laissant aucune place à l’improvisation. Dans ce
contexte, l’école allemande accordait une place prépondérante à l’histoire
militaire. Il importait de s’inspirer des grandes batailles de l’Histoire afin
d’isoler les divers paramètres qui régissaient les lois de la guerre. Dès lors,
les principes fondateurs de la stratégie ne changeaient pas, et seule la
tactique évoluait au fil de la « technicisation » continuelle des
armements. En fait, une fois l’essence immuable de la guerre déterminée, on
pouvait envisager l’étude de la tactique à adopter dans le conflit à venir. Les
Allemands étaient cependant persuadés que la victoire lors des prochaines
guerres serait nécessairement rapide et décisive. Dans le bouillonnement
intellectuel de la fin du XX e siècle, ces différentes idées
allaient devenir de véritables leitmotive. Pour obtenir une victoire
décisive, l’école française de l’offensive à outrance préconisait « d’attaquer
partout et voir après », selon l’expression de Foch. A contrario, les militaires allemands insistaient sur la nécessité de mener des opérations d’enveloppement.
Le succès des travaux de Mommsen sur les guerres puniques, et plus particulièrement
son analyse de la bataille de Cannes [88] , contribua à
populariser l’idée selon laquelle le sacrifice temporaire du centre d’une armée
pouvait permettre à ses deux ailes d’enfermer dans une nasse les troupes
ennemies. En plus des considérations tactiques, un autre facteur déterminant
inclinait les stratèges allemands à privilégier l’offensive. La situation
géostratégique de l’Allemagne, radicalement différente de celle de la France,
imposait aux forces armées du Reich d’affronter trois ennemis sur deux fronts
distincts. Jugeant cette performance périlleuse, l’état-major pensait pouvoir
résoudre cette difficulté en écrasant l’armée française de manière fulgurante
avant que les forces russes, confrontées à l’immensité du territoire et à des
infrastructures déficientes, ne soient à même de combattre.
Convergences stratégiques, divergences tactiques
Ainsi, force est de constater un troublant parallélisme
franco-allemand en matière d’orientation stratégique à l’aube de la Première
Guerre mondiale, les deux écoles considérant que seule une offensive résolue et
vigoureuse pouvait mener à la victoire. Cependant, d’un point de vue tactique,
les deux
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