La grande guerre chimique : 1914-1918
longue et désespérante. Inlassablement fut recherché
le retour au mouvement. Dès octobre 1914, après ce que l’on a consacré
improprement comme « la course à la mer » [116] , le front
occidental était stabilisé. De la Suisse à la mer du Nord, les deux armées s’enterraient
dans de sombres et sinistres tranchées. La guerre changeait de visage. Selon
Joffre, la victoire de la Marne et l’échec allemand devant Calais démontraient
la supériorité des Alliés. Il fallait donc en profiter pour attaquer sans plus
tarder. Tout l’hiver 1914-1915 fut jalonné d’offensives. Ces attaques
reposaient sur deux préceptes : d’une part, toute tranchée perdue devait
être reprise et, d’autre part, le commandement ne devait pas accepter de
reculer, même pour améliorer ses positions ou épargner des vies humaines. Ces
offensives furent particulièrement meurtrières et il était aisé de calculer qu’au
rythme des pertes subies, il n’y aurait plus d’armée française bien avant que l’on
ait atteint les frontières. Les offensives en Artois du 16 au 19 décembre 1914
et en Champagne du 20 décembre au 13 janvier 1915 furent de
sanglants échecs. À elles seules, ces deux offensives coûtèrent 100 000 hommes
aux Alliés. Le grignotage proposé par Joffre se soldait par un fiasco. Au printemps 1915,
les perspectives d’un conflit bref et décisif s’évanouissaient. Si les
états-majors n’avaient pas renoncé à l’offensive, ils convenaient que sa forme
classique était obsolète.
Boulogne, Calais, Dunkerque furent des villes d’une
importance stratégique majeure pendant toute la durée du conflit, et les deux
armées luttèrent quatre années durant pour leur possession. Ces cités, qui
jalonnent la Flandre maritime face aux îles britanniques, étaient bien
évidemment les vigies du détroit commandant un éventuel accès à l’Angleterre,
mais aussi le passage entre la mer du Nord et la façade atlantique de l’Europe.
Ces villes servaient, surtout en temps de guerre, de base arrière et de soutien
à la Flandre intérieure, un plat pays de 40 m d’altitude moyenne où se
dressent les monts des Flandres, qui dominent de 130 à 150 m la plaine
basse. C’est dans cette région, dont l’importance stratégique justifiait que l’on
employât tous les moyens pour venir à bout de l’adversaire, que la guerre
chimique fut réinventée. Au début du mois d’octobre 1914, le commandement
allemand décida de porter son effort sur les Flandres afin de s’emparer de
Calais. Pour atteindre cet objectif essentiel, il convenait de franchir un
modeste cours d’eau, l’Yser. Cependant, toute progression était impossible sans
que les forces allemandes ne s’emparent au préalable des collines d’Ypres, qui
constituaient la clef de voûte de la défense alliée, le point d’appui capable
de s’opposer à toute avancée des troupes du Kaiser et surtout le nœud
des communications alliées pour l’ensemble du front nord. La possession de
cette position, on le comprend, devenait capitale pour les deux armées.
Rapidement, les positions furent renforcées de part et d’autre du front. Foch
dépêcha deux divisions de territoriaux et deux corps de cavalerie dans la
région d’Ypres et expédia au nord la 42 e division du général Grossetti,
une unité d’élite formée à Verdun avec les recrues de la région, ainsi que le 9 e corps
d’armée et la 31 e division d’infanterie. Il demanda l’aide de
la flotte pour la défense de Nieuport : quatre torpilleurs quittèrent
aussitôt Brest. Au sud d’Ypres, le front était tenu par les Britanniques et
leur 1 er corps d’armée, renforcé par la division indienne de
Lahore, qui faisaient liaison avec la X e armée de Maud’huy
défendant toujours Arras. Joffre se rendit en personne sur le front pour s’assurer
de la solidité de son dispositif et visita, en compagnie du roi, les 50 000 soldats
belges qui défendaient la ligne Nieuport-Dixmude. Du côté allemand, le 3 e corps
de réserve et les divisionsd’ Ersatz libérées d’Anvers se
trouvaient à pied devant l’Yser. Avec des troupes fatiguées et de nouvelles
unités formées trop rapidement, ils constituaient, au nord, une IV e armée
placée sous les ordres du duc de Wurtemberg, dont le 3 e corps
d’armée était le premier élément, et, au sud, la VI e armée. Ils
devaient rapidement recevoir les renforts d’une division de fusiliers
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