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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges TABET , André TABET
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interrogés. L’idée fit vivement le tour des cerveaux.
    C’est ainsi que dissimulés derrière des sacs postaux, les quatre hommes passèrent à travers le filet.
    Et, le travail étant toujours récompensé, en suivant les autres porteurs, ils arrivèrent à la cour des marchandises où une dizaine de petites Renault des P.T.T. attendaient le courrier de province.
    Il existe toujours un moment où l’impossible devient permis. Pendant un court instant, il n’y eut personne autour des petites voitures. Cela suffit : les deux Anglais grimpèrent devant, les deux Français sautèrent à l’intérieur, et la Renault démarra traditionnellement sur les chapeaux de roues. Les conducteurs des P.T.T. crurent même reconnaître le style d’un de leurs chauffeurs en voyant s’éloigner ainsi la camionnette dans un hurlement de pneus malmenés.

XXI
    Après avoir dépassé les grises banlieues de Paris, le train dévala en pleine campagne. Dégagé des miasmes citadins, son souffle se fit plus puissant et son allure plus rapide. Allégrement, il avalait des kilomètres en poussant de temps à autre un long cri de satisfaction. Le bleu du ciel perça les nuages parisiens, et le soleil se mit à embrasser joyeusement les terres découpées en damiers.
    Juliette et Peter étaient assis au wagon-restaurant où des serviteurs en vestes blanches impeccables servaient la carotte râpée et le vin de grenache du même geste stylé que naguère le turbot du chef sauce Soubise accompagné de Hauts Sauternes.
    Le hasard fit assez mal les choses, Peter était installé face à Juliette, mais pas à la même table. Le couloir central les séparait. La jeune fille ne quittait pas l’Anglais des yeux, car celui-ci se trouvait en tête-à-tête avec un officier allemand à l’œil d’acier inquisiteur. Cet homme devait sans doute parler français, car il avait posé sur la table des journaux parisiens pro-nazi. La moindre imprudence pouvait donc être fatale. D’un geste calculé, Juliette fit signe à Peter de se taire. C’était bien superflu ! Ne parlant que l’anglais, il était condamné au silence, et regrettait d’avoir quitté son compartiment, pourtant bourré de miliciens. Le regard en vrille, l’Allemand semblait vouloir pénétrer par effraction dans tous les visages…
    Tout alla bien jusqu’au moment où les rutabagas firent leur entrée. Ce légume, fort heureusement oublié aujourd’hui, était célèbre à l’époque. On avait même donné son nom à ces années funestes : le temps des rutabagas. C’était une sorte de navet à chair jaune et inconsistante. Ses principales caractéristiques étaient de n’être nullement nourrissant et de n’avoir surtout pas la moindre saveur. Les Allemands nous y avaient condamnés pour la durée de la guerre, se réservant les produits de la France pillée.
    Les Français du wagon-restaurant firent un accueil glacial à cette racine, devenue hélas ! nationale au pays de la gastronomie.
    L’officier allemand qui se trouvait face à Peter possédait des tickets de rations supplémentaires. Sous l’œil hostile des voyageurs, il se fit servir un énorme plat de jambon pour accompagner l’exécrable légume.
    Malgré ce traitement de faveur, il trouvait les rutabagas insipides et protestait.
    — Voulez-vous me passer le sel ? demanda-t-il courtoisement à Peter, tout en s’empiffrant.
    Peter, ne comprit pas. Il eut vers Juliette un regard de naufragé.
    Elle avait heureusement prêté une oreille inquiète à la conversation de l’autre table. D’un mouvement discret mais allusif elle prit sa salière et la désigna à l’Anglais.
    Peter saisit aussitôt, sur sa propre table, les flacons à épices et condiments qui se trouvaient hors de portée de l’Allemand et lui tendit le sel.
    Le Kapitän remercia d’un hochement de tête.
    Il engouffra une ou deux bouchées de rutabagas. C’était encore fade !
    — Peut-être qu’avec du poivre ? dit-il à Peter.
    Juliette, jouant le même jeu désigna la poivrière.
    Peter passa le poivre à l’Allemand qui en saupoudra largement son plat.
    — Encore du jambon ! demanda-t-il, arrogant, au garçon, en lui tendant de nouveau un nombre impressionnant de tickets de rationnement.
    Tous ses voisins, au régime imposé par l’occupant, éclatèrent en injures mentales.
    L’Allemand dévorait tout ce qu’on lui apportait avec une mastication gourmande et appliquée sans se préoccuper du ventre creux de ses

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