La grande vadrouille
Obergruppenführer !
« Sans tache » était un terme qu’on pouvait trouver insolemment allusif. Il fit fulminer de plus belle le dignitaire nazi.
— Ne jouez pas sur les mots ! Nous dominons l’Europe et par votre incurie, on nous éclabousse à la lettre ! On se moque de l’Allemagne ! Si dans les heures qui viennent vous n’avez pas arrêté les aviateurs anglais et leurs complices français, comptez sur moi ! Je vous promets un charmant voyage sur le front de l’Est ! Vous y ferez des sports d’hiver !
Achbach se retint au bureau. La tête lui tournait. Officier de carrière dans la Wehrmacht, il avait vu, peu à peu, les favoris du parti prendre la haute main sur l’Armée. Il savait que ces führers-là ne plaisantaient pas. D’une seule syllabe ils pouvaient actionner les douze gâchettes du peloton d’exécution ou la corde du bourreau.
Achbach ouvrit avec obséquiosité une serviette qu’il avait apportée. Ses mains tremblaient.
— Regardez, Herr Obergruppenführer. Voici les photographies du peintre et du chef d’orchestre. Je les ai fait diffuser à toutes les forces de police du territoire. Ces individus ne pourront guère faire un pas sans être pris…
— Je l’espère !… Pour vous ! lança Weber.
— Les routes et les gares sont munies d’un dispositif de contrôle efficace et discret.
Par l’immense verrière qui dominait la cour de la gare, on vit en effet, arriver à grands bruits de bottes des feldgendarmes qui prirent position devant l’entrée de chacun des quais.
Ce n’était guère discret mais pouvait être efficace.
Les voyageurs étaient minutieusement filtrés et leurs papiers soigneusement scrutés.
Quelques imperméables verdâtres postés çà et là prouvaient que la Gestapo était de la fête.
Á ce moment précis, nos quatre fuyards sur le point d’atteindre l’entrée du quai se trouvèrent nez à nez avec le cordon de police.
Stanislas eut le bon réflexe. Au lieu de tenter de passer, ce qui était de toute façon impossible sans papiers, il tira son mouchoir de sa poche, et fit des grands signes affectueux d’adieu aux voyageurs. Certains le regardaient ahuris, mais d’autres lui répondirent machinalement.
Au-delà du cordon de police, Peter et Juliette étaient déjà près du train et échappaient ainsi au contrôle.
Comment faire comprendre à Reginald qu’ils partaient ?
Le Squadron-Leader, dans la foule, ne les voyait pas. Eux l’avaient aperçu.
Peter, comme tout navigateur, connaissait le morse. Il sifflota, sur plusieurs notes, des longues, des brèves, encore des longues, sur un air de chansonnette improvisée.
Reginald dressa l’oreille. Il entendait le code de son escadrille. C’était même un message qui, traversant librement les cordons de sécurité, disant :
— Je suis près du deuxième wagon avec Juliette. Rendez-vous à Meursault à l’hôtel du Globe. Good luck.
Reginald situa alors Peter et répondit dans le même langage, sous le regard des policiers :
— Bon voyage.
Stanislas et Augustin furent émerveillés quand on leur traduisit la conversation qui s’était déroulée tranquillement à la barbe de l’ennemi.
Un coup de sifflet, du chef de gare, celui-là.
Une lanterne rouge agitée…
Le train lourdement chargé, comme tous les trains de l’occupation, s’ébranla. Bientôt il disparut, au tournant de la voie du chemin de fer, dans un tourbillon de fumée sale.
Augustin ressentit au cœur un pincement de jalousie en imaginant Juliette en tête-à-tête avec le beau Peter pendant ce long voyage… De cette promiscuité allait sûrement naître un amour merveilleux.
Comme tous les jaloux, il prêtait à Peter encore plus de qualités de séduction qu’il n’en possédait réellement.
Il soupira, mélancolique. Pour lui, le seul agrément de cette épouvantable aventure avait été la rencontre avec la blonde jeune fille. Et voilà qu’elle était partie et qu’il restait seul avec ce chef d’orchestre acariâtre, et ces Anglais aussi étrangers que possible à un peintre en bâtiments de la rue Marcadet.
— Il faut maintenant partir d’ici ! lui glissa Reginald à voix basse.
Mais la sortie était maintenant aussi bouclée que l’entrée.
De quelque côté qu’on veuille circuler, on en était empêché.
Le Squadron-Leader aperçut à ce moment-là des porteurs chargés de sacs de courrier qui entraient et sortaient sans être inquiétés, ni même
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