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La grande vadrouille

La grande vadrouille

Titel: La grande vadrouille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges TABET , André TABET
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voisins.
    Comme Peter lui avait rendu deux fois le petit service de lui passer les épices, il lui offrit un petit reste de jambon, en lui disant :
    — J’aime votre pays ! Monsieur !
    Et il enchaîna, comme le train longeait des terres cultivées :

    —  « Etoile de la mer,
    Voici la lourde nappe
    Et la profonde houle
    Et l’Océan des blés. »

    Ce sont des vers de Péguy !…
    Peter le regardait effaré, sans pouvoir percer le sens de ces paroles.
    Il jeta des yeux suppliants vers Juliette qui n’avait pas l’air, non plus, de discerner de quoi il s’agissait. Elle ne bougeait pas. Il fallait vite répondre…
    Peter décida de suivre son intuition. Par un raisonnement simpliste, il se disait qu’il s’agissait probablement encore de condiments. Et triomphant, content de lui, il tendit avec un large sourire le pot de moutarde à l’officier.
    Celui-ci fronça le sourcil sur un œil aigu.
    Il attendait un compliment, la reconnaissance admirative de sa culture en poésie française, et voilà que ce Français impertinent lui présentait la moutarde ! Était-ce un trait d’ironie ?
    Les Allemands n’aiment pas l’ironie. D’abord parce qu’ils ne sont jamais certains de bien la comprendre. Et aussi parce que c’est une forme d’esprit un peu trop subtile.
    Peter sentit qu’il avait fait une gaffe.
    Cette idée l’envahit à tel point que le garçon qui passait avec sa corbeille de pain l’ayant bousculé, il laissa étourdiment échapper :
    —  I’m sorry ! d’un accent inimitable.
    L’officier allemand se leva d’un bond. Juliette, impuissante à réparer le mal, sentit son sang se glacer.

XXII
    La petite voiture postale avait victorieusement franchi tous les obstacles et roulait à bonne allure. Elle avait atteint les contreforts de la Bourgogne et se trouvait en vue de l’imposante architecture du Château de la Rochepot. Les tuiles vernissées du majestueux édifice luisaient au soleil. Á la fois trapue et élancée, la citadelle semblait afficher une neutralité fort indifférente au conflit en cours. Elle avait fait son temps. Elle en avait vu d’autres ! Elle se sentait dispensée du Service Militaire, ayant dépassé l’âge de la Territoriale.
    Dans la camionnette, Stanislas, voyant l’immense et inutile bâtisse, conseilla :
    — Arrêtons-nous là ! Entrons ! Et tâchons de nous faire oublier dans les oubliettes.
    Déjà, il se voyait ermite, vivant d’herbe et de l’air du temps, inventant une philosophie nouvelle.
    On ne lui fit pas l’honneur d’une réponse.
    Reginald, au volant, laissa simplement passer entre ses dents :
    — Encore 54 kilomètres pour Meursault. Peter y sera avant nous.
    Il ne se doutait pas qu’à ce moment même son compagnon d’armes digérait fort mal les rutabagas du wagon-restaurant.
    — On a déjà avalé 316 bornes ? s’émerveilla Augustin. Formidable, ces petites Renault !
    Comme pour se montrer contrariante et capricieuse, pareille à une ravissante idiote qui ne sait pas recevoir les compliments, la camionnette toussa, sursauta, cracha et finit par s’arrêter, têtue, au milieu d’une côte. Elle aurait même amorcé une marche arrière si Reginald n’avait tiré vigoureusement sur le frein à main.
    Stanislas descendit le premier et souleva le capot. Il n’entendait rien à la mécanique, mais par ce seul geste, il croyait conjurer la panne, rétablir peut-être un mauvais contact…
    — Vous fatiguez pas ! lui cria Augustin. Il n’y a plus d’essence.
    — Qu’est-ce que vous en savez ? grinça Stanislas vexé et vexant.
    — 316 kilomètres, 10 litres aux cents, réservoir de 40 litres à demi plein… C’est déjà beau qu’on soit arrivé là !
    — C’est un calcul stupide ! dit Stanislas, qui n’y comprenait goutte. Mais, ne voulant pas perdre la face, il entreprit de vérifier le niveau.
    Il eut une exclamation de joie méprisante :
    — C’est plein d’essence ! triompha-t-il.
    Augustin le considéra d’un œil navré.
    — C’est de l’eau ! Vous confondez réservoir et radiateur. Voilà ce que c’est que d’avoir un chauffeur ! Vous croyez aussi peut-être que le ventilateur a éteint les bougies ?
    Reginald et Mac Intosh avaient également mis pied à terre. Ils firent un diagnostic précoce de la panne et s’amusèrent beaucoup de la discussion des deux Français.
    Le Squadron-Leader pensa qu’il serait prudent d’effacer ici toutes les traces de leur

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