La guerre de l'opium
L’opium ! Vos Anglais, mon bon ami, eh bien, voilà leur astuce : ils vendent fort cher de l’opium aux Chinois et leur achètent du thé et des porcelaines fort bon marché… Il suffisait d’y penser ! Ah ! si nous avions en France des commerçants de la trempe de ces deux Écossais Matheson et Jardine… ce pays serait autrement plus puissant… avait soupiré Guizot.
Antoine, confus, lui avait répondu d’une petite voix :
— Monsieur le ministre, je n’ai pas l’honneur de connaître les messieurs dont vous venez de citer les noms…
— Renseignez-vous un peu, mon jeune ami ! Ce sont les plus importants contributeurs du Royaume-Uni en taxes douanières. Le commerce rapporte gros aux particuliers… mais aussi - et c’est pour moi le plus important, mon cher Vuibert - aux États ! avait lâché Guizot, non sans une pointe d’agacement.
L’air entendu et les yeux levés au ciel du ministre témoignaient de la condescendance de beaucoup de grands hommes politiques lorsqu’ils sont confrontés à l’ignorance crasse de leurs pauvres citoyens dont ils sont persuadés de faire le bien en passant leurs journées à brasser les affaires de l’État. Ils disent servir leur pays alors que, la plupart du temps, ils ne sont au service que de leur ambition.
— Je vous le promets, monsieur le ministre, je vais me renseigner de ce pas…
Lorsqu’il s’était retrouvé dans la rue, à l’issue de son entretien, Antoine avait certes à la bouche le délicieux goût du thé de Chine que François Guizot lui avait fait servir, mais c’étaient ses propos sur l’opium qui l’avaient marqué le plus… et n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd.
Trois mois après son mémorable rendez-vous, Antoine Vuibert, qui avait été nommé « agent spécial consulaire du royaume de France » par un arrêté du ministère des Affaires étrangères, embarquait à Marseille sur le Neptune , un gros vapeur anglais flambant neuf de la compagnie P & O à destination d’Alexandrie.
C’était, bien sûr, sa première croisière. À bord, où il se trouvait être le seul Français, dans une ambiance très british , les journées se déroulaient de façon immuable : le matin, exercices sur le pont, sous la férule d’un jeune capitaine de l’armée des Indes féru de sport, à midi déjeuner pantagruélique, à cinq heures, après l’indispensable sieste, thé et partie de cartes, le soir, dîner où il fallait obligatoirement se présenter rasé de près et en tenue de soirée. Antoine avait lié connaissance avec une famille de négociants en tissus de Birmingham qui importaient en Grande-Bretagne des cotonnades indiennes. Leurs trois filles, de seize à dix-neuf ans, habillées d’organdi de pied en cap, en proie à de perpétuels fous rires, n’avaient cessé de lui faire une cour assidue au point qu’un soir, après un dîner plus arrosé que les autres, elles l’avaient contraint à s’enfermer à double tour dans sa cabine… De peur de déclencher un scandale dans l’atmosphère guindée du navire, il n’avait pas osé franchir le pas avec la plus âgée des pimprenelles, même si l’intéressée ne s’était pas privée de lui décocher des œillades qui en disaient long.
Les jeunes filles les plus innocentes en apparence sont parfois capables de se conduire bien plus mal que les pires garces…
Voguant sur les traces de Bonaparte, le Neptune avait fait escale à Malte, l’île fortifiée des avant-postes de la chrétienté aux allures de sentinelle minérale, située à mi-chemin entre la Sicile et les côtes africaines. Avec émotion, Vuibert y avait découvert les stupéfiantes églises baroques ainsi que les somptueux palais de pierre blonde construits par les célèbres chevaliers de l’ordre éponyme. Une terrible épidémie de petite vérole sévissant à La Valette, il n’avait pu goûter aux plaisirs de ses maisons closes qui étaient pourtant réputées.
Après deux semaines passées à glisser sans le moindre souffle de vent sur une Méditerranée huileuse, le Neptune avait atteint le grand port égyptien d’Alexandrie.
Subjugué par les milliers de voiliers qui y mouillaient, Antoine avait eu une pensée émue pour les savants et les poètes grecs, latins et juifs qui s’y étaient rendus, attirés par la gigantesque bibliothèque. La ville fondée par Alexandre le Grand était également célèbre pour ses bordels abondamment
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