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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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Vuibert, faisait beaucoup plus jeune que ses vingt-neuf ans, même si la fine moustache noire qui coupait en deux son visage avenant aux traits fins et la raie blanche qui séparait ses cheveux toujours gominés avec soin lui donnaient un air sérieux de gendre idéal. Sans elles, on l’eût pris à coup sûr pour un lycéen attardé. Ses muscles sourciliers ne chômaient pas, conférant à son regard bleu acier perpétuellement en éveil l’air étonné de celui qui ne se lasse jamais du spectacle des autres.
    Le tout formait un personnage avenant, joli garçon, par ailleurs séducteur en diable. Rares étaient les femmes qui résistaient à son charme indéfinissable.
    En l’espèce, on le sait, la valeur n’attend pas le nombre des années.
    Originaire des environs de Chambéry où son père était instituteur, cet élève aussi brillant que rebelle dans l’âme avait refusé d’entrer à la faculté de médecine de Lyon comme son père l’y avait encouragé pour aller tenter sa chance à Paris où il s’était inscrit à l’École nationale des langues orientales dans la classe de chinois du professeur Stanislas Julien AI .
    Il avait découvert la Chine à l’âge de treize ans, en feuilletant chez un vieux libraire lyonnais un album de peintures érotiques du plus célèbre roman licencieux chinois Fleur de Pêcher dans la Fiole d’Or . Derrière les scènes délicatement enluminées d’amants entrelacés dans des intérieurs raffinés, il avait pressenti les contours d’un monde à la fois proche et lointain ; un univers à part, un monde en soi dont il rêvait de découvrir les clés ; il avait surtout découvert une sensualité à la fois exacerbée et très particulière à laquelle il rêvait plus que tout de goûter. Aller sur place pour y tester les postures du Jing Pingmei et se glisser voluptueusement dans la peau du héros auquel l’héroïne rend de si brûlants hommages était devenu un désir proche de l’obsession…
    Quatre ans plus tard, Antoine Vuibert maîtrisait le chinois et son professeur Stanislas Julien l’avait recommandé au ministère français des Affaires étrangères qui cherchait un « agent spécial   » à expédier en Chine afin de remplacer le père Joseph Marie Callery, renvoyé pour conduite immorale. Il devenait urgent d’envisager là-bas une présence plus constante. Depuis l’installation d’un très éphémère consulat à Canton en 1776, la France ne disposait sur place d’aucune antenne officielle. Seuls quelques pères jésuites -   qui s’y étaient réinstallés en 1842 après avoir dû en partir, au moment de la suppression de l’ordre en 1773 - ainsi que quelques rares commerçants téméraires qui se comptaient sur les doigts d’une main s’y étaient, jusque-là, aventurés.
    Pour contrer l’Angleterre et l’empêcher de gober tout le marché chinois, il fallait pour le moins envisager l’ouverture d’un consulat de France et l’envoi d’un consul français.
    La mission d’Antoine Vuibert consistait - selon les termes de la lettre officielle qui en fixait les objectifs - à « renseigner les autorités du royaume de France sur l’évolution de la Chine afin de mieux assurer, à l’avenir, la présence des intérêts français dans cette partie du monde   ». Plus précisément, le jeune sinologue était chargé de préparer l’arrivée à Shanghai, prévue pour l’année suivante, de l’ancien officier de marine Charles de Montigny dont le roi Louis-Philippe avait décidé qu’il y occuperait le poste spécialement créé à son intention de consul général du royaume de France en Chine.
    Lorsque le jeune Dauphinois frais émoulu de l’École des langues orientales avait été reçu en tête à tête par le ministre des Affaires étrangères et président du Conseil François Guizot en personne dans son immense cabinet de travail tendu de brocart de soie lie-de-vin, l’historien aux rouflaquettes élégantes lui avait susurré, après lui avoir fait servir une tasse de la manufacture de Sèvres remplie de thé:
    —  Buvez-moi ça, mon cher… Voilà ce que nos amis anglais importent de Chine sans que ça leur coûte un centime   !
    —  Mais comment font-ils donc, ces Anglais, monsieur le ministre, pour disposer d’un tel breuvage sans débourser un sou   ? Je n’ai jamais bu un thé aussi parfumé que celui-ci   ! avait objecté le jeune homme, pas intimidé pour deux sous.
    —  L’opium, mon cher…

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