La guerre de l'opium
approvisionnés par les marchands d’esclaves venus de Nubie, du Soudan et de la Somalie.
Il faut préciser ici que les plaisirs alexandrins avaient failli coûter très cher à notre apprenti diplomate.
Comme le lui avaient fortement conseillé les services du ministère des Affaires étrangères, à peine débarqué sur le sol égyptien, Antoine avait pris contact avec le Bureau postal et commercial que la France y avait ouvert, une administration qui ne comptait que deux Français assistés par une vingtaine d’Égyptiens. Il était dirigé par un ancien douanier originaire lui aussi de Chambéry du nom de Robert Leduc, une force de la nature, célibataire endurci et amateur de femmes ainsi que buveur de bons vins qu’il faisait venir de France par cargaisons entières. Trop heureux de recevoir la visite de ce jeune compatriote, le préposé aux douanes s’était empressé d’inviter celui-ci à dîner dans le meilleur restaurant de poisson de la ville.
Située sur la corniche, La Table des Gourmets appartenait à un Sicilien qui avait fait fortune en proposant à la bourgeoisie la plus huppée de la ville des spécialités d’Agrigente. Dans une ambiance festive où les convives finissaient volontiers leur repas sous les tables, après avoir fait déguster à Antoine des montagnes de queues de langoustes et de rougets grillés à la coriandre, le tout arrosé d’un vin raisiné d’origine grecque, Leduc, grosse œillade à l’appui, avait lancé à son invité :
— Et maintenant, Vuibert, je vous propose d’aller aux filles ! Qu’en dites-vous ? Ici, il y en a pour tous les goûts… À moins que vous ne souhaitiez voir de jeunes garçons !
Légèrement gris, lui aussi, à l’issue de toutes ces agapes, le jeune Dauphinois s’était empressé d’accepter en précisant :
— Les garçons, très peu pour moi. En revanche, une belle Mauresque, je ne dis pas non.
On se doit de préciser que, pour Antoine, les cinq semaines de traversée de la Méditerranée avaient été des plus chastes, en raison de la petite vérole qui sévissait à Malte et malgré les avances des trois demoiselles de Birmingham.
Les deux Français en goguette s’étaient donc retrouvés dans le plus grand lupanar d’Alexandrie où Leduc avait ses habitudes. Cette immense usine à plaisir se cachait derrière la façade décrépie d’un palais rococo qui avait jadis abrité une famille d’armateurs grecs du Pirée. Il était dépourvu d’enseigne mais tous ses clients - issus pour la plupart de la haute société égyptienne - le connaissaient sous le charmant vocable de Petit Colibri .
— Qu’est-ce qu’il veut, ce chou ? Une belle brune aux formes amples ou une affriolante petite blonde ? S’il veut un mignon, c’est également possible ! s’était exclamé sa tenancière, que tous les clients appelaient la « mère Irma ».
Robert Leduc n’avait pas laissé à Vuibert le temps d’ouvrir la bouche :
— Donne-lui ce qu’il y a de meilleur ! La grosse Mauresque, par exemple. C’est moi qui paie, bien sûr !
Dans la cour intérieure du palais, étendues sur des lits de style pompéien, quelques filles à moitié nues étalaient leurs incontestables avantages à la clientèle. Les unes fumaient sans complexe le narguilé tandis que d’autres croquaient négligemment des pistaches et des graines de tournesol.
Le jeune apprenti diplomate avait à peine eu le temps de détailler les charmes des créatures présentes qu’il s’était senti happé comme un fétu de paille avant de se retrouver propulsé dans des bras gigantesques qui sentaient la violette.
Ce n’était pas l’un des videurs turcs qui surveillaient en permanence l’entrée du Colibri qui l’avait ainsi empoigné, mais l’une des plus célèbres prostituées d’Alexandrie. D’origine libyenne, elle se faisait appeler princesse Sonia et s’était rendue célèbre par ses danses du ventre, un genre qu’elle avait créé de toutes pièces et qui l’amenait à exhiber dans le grand salon du Colibri des seins gros comme des melons et un nombril où les clients assis au premier rang pouvaient enfoncer la moitié d’un doigt lorsqu’elle se trémoussait devant eux avant d’achever sa prestation sous les vivats d’une assistance au bord de l’apoplexie.
La chambre où il s’était retrouvé jeté sur un immense lit, après avoir été transbahuté dans un dédale de couloirs et de volées
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