La guerre de l'opium
indochinoises étaient enfin apparues à l’horizon.
Dans ces parages où la piraterie japonaise et philippine était un fléau redouté par les navires marchands battant pavillon occidental, il avait vu la mer se peupler d’îles désertes, d’îlots et de rochers, mais aussi d’arbres morts arrachés à la terre par les typhons et les tempêtes, ce qui rendait la navigation encore plus périlleuse car c’étaient là autant d’obstacles entre lesquels les navires devaient se frayer un chemin.
La mer de Chine a cet aspect inquiétant qui fait croire à chaque instant que les pirates vont surgir de derrière le cap du plus minuscule îlot.
Sur cette mer presque surpeuplée lorsqu’on la comparait à la vacuité de l’océan Indien, aux eaux poissonneuses et encombrées par les navires de pêche et de cabotage, les jonques chinoises à voiles en nattes de bambou - qui tenaient mieux le vent que celles des vaisseaux européens - avaient fait progressivement leur apparition. La nuit, la lumière des bougies, qui brûlaient en permanence devant l’autel portatif installé dans la cabine du capitaine où l’équipage invoquait aussi bien les mânes de leurs ancêtres que Bouddha ou Confucius, permettait de deviner leur présence. Sur ces flots balayés par les moussons plus de la moitié de l’année, on croisait aussi des frégates et des goélettes aux trois quarts anéanties qui pouvaient fort bien, faute d’être capables de s’aventurer en haute mer, tourner en rond pendant des semaines autour d’un îlot désert. Affrétés par des compagnies de commerce occidentales qui les avaient confiés à des capitaines inexpérimentés, ces navires en loques attendaient avec angoisse le bateau salvateur susceptible de les mener à bon port.
C’est ainsi que trois petits vaisseaux bataves au bord de l’agonie s’étaient placés dans le sillage du Panther en espérant que les planches de leurs coques tiendraient jusqu’à Hongkong.
La fin du voyage avait été une délivrance pour Antoine, qui avait souffert du mal de mer pendant les trois derniers jours de la traversée au cours desquels la mer s’était beaucoup creusée. C’était donc avec soulagement qu’il avait débarqué à Hongkong après que la « Vieille Malle Rapiécée » eut exhalé un craquement déchirant, annonciateur d’une rupture irrémédiable de sa coque au moment où celle-ci avait enfin touché le quai du Port Parfumé.
À peine cette manœuvre accomplie, une foule de coolies massés sur la terre ferme s’était ruée sur le pont du navire, dont les cales avaient été rapidement découvertes par les matelots aussi exténués que leur navire. Sous le regard ahuri du Français, ces porteurs chinois s’étaient transformés en fourmis laborieuses auxquelles il n’avait pas fallu plus d’une demi-heure pour vider le navire de toute sa cargaison. Les caisses d’opium et les ballots de tweed et de cotonnades avaient atterri sur le quai avant d’être chargés sur des brouettes puis répartis dans les entrepôts des compradores , le tout sous la surveillance de gardes armés qui n’hésitaient pas à manier le fouet pour accélérer les cadences. La somme d’énergie déployée par ces pauvres hères payés une misère faisait peine à voir.
— Selon vous, ces porteurs, combien sont-ils ? avait demandé Antoine à l’un des marins du navire.
— En Chine, on ne compte pas les gens… parce que les gens, ici, ça ne compte pas ! En Chine, on manque de tout sauf de bras !
Huit jours plus tard, après avoir dormi trois jours et trois nuits d’affilée dans une auberge pour étrangers et fait une brève incursion à Macao où il avait été stupéfié par le nombre de tripots et de maisons de jeu, Antoine Vuibert avait enfin embarqué sur le Cristina à destination de Shanghai, terme final de son long périple.
Le ministre Guizot pouvait être satisfait : son « agent spécial » était désormais à pied d’œuvre.
Sur le quai, des coolies avaient déployé une banderole crasseuse sur laquelle était marqué en chinois « Bienvenue à Shanghai aux honorables étrangers ».
C’était plutôt bon signe, songea notre voyageur plutôt ému lorsqu’il posa enfin le pied sur le sol de la Chine, sans aucune idée précise de ce qui l’y attendait. Tirant sa valise, il passa entre la haie du même comité d’accueil qui profitait de l’occasion pour extorquer quelques piécettes aux passagers.
Il
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