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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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était loin de se douter qu’à quelques mètres de là, au milieu de la foule des badauds et des voleurs à la tire aux aguets, quelqu’un l’attendait.

 
    11
     
    Canton, 12 juillet 1846
     
    Laura Clearstone, à peine un pied hors de chez elle, décida de hâter le pas.
    Tel un immense chaudron emmagasinant les nuages, le ciel était en train de virer au métallique ; bientôt éclaterait un violent orage tandis que des trombes d’eau se déverseraient sur la terre, transformant les rues de Canton en d’infâmes rivières boueuses et déchaînées.
    Il lui fallait donc faire vite.
    Ce n’était guère que la troisième fois que sa mère l’autorisait à sortir seule pour se rendre au cours de catéchisme du pasteur Roberts, et pourtant elle se sentait parfaitement à l’aise dans ce dédale de ruelles qui interféraient si singulièrement avec les grandes avenues de la ville. Malgré l’inconfort de la situation dû à sa méconnaissance du cantonais, elle préférait se débrouiller seule.
    À tout propos, sa mère essayait de lui adjoindre Wang le Chanceux. Mais derrière les sourires et les « hi   ! hi   !   » perpétuels de ce petit homme barbichu qui se précipitait à la fumerie d’opium dès que Brandon lui donnait sa paye hebdomadaire, Laura ne sentait aucune bienveillance. Wang était de la race des mercenaires, de ceux qui accomplissent leur tâche contre de l’argent sans le moindre état d’âme et sans s’y attacher. Elle ne lui en voulait pas. Pourquoi Wang, au demeurant, se fut-il attaché à son père, dont il devait probablement trouver les visées fantasques, surtout depuis les derniers événements   ?
    Pour la jeune Anglaise, la solitude était devenue un refuge apaisant et, depuis quelques jours, elle s’y retrouvait d’autant plus volontiers que l’atmosphère était électrique entre ses parents.
    Elle hâta le pas et éprouva pour la première fois de la journée l’impression de respirer en dépit de la sensation qu’elle avait de plonger dans une bassine d’eau chaude, tellement l’humidité ambiante était forte ce jour-là.
    En été, quelle que soit l’heure, l’air de Canton peut virer à l’étuve. Alors, on y cuit à grand feu.
    Malgré l’air brûlant et humide qui lui tombait sur les épaules, la jeune fille souriait intérieurement. Non seulement elle commençait à s’habituer à l’assourdissant bruit de la rue, ce mélange étrange de cris aigus, de murmures lancinants, de bordées d’injures, de tintements de baguettes contre des bols, de chuintements de balanciers et de grincements de roues, mais elle éprouvait aussi une indicible sensation de liberté dès qu’elle pénétrait dans ce chaos où charrettes, brouettes et chaises à porteurs, toujours lancées à un rythme infernal, manquaient à chaque seconde de renverser ceux qui allaient à pied.
    En Chine, marcher à travers une ville est toujours une aventure et, pour la jeune Laura, celle-ci avait un côté exaltant.
    Elle adorait guetter cet instant charmant où la rue se faisait boyau sombre et étroit, de part et d’autre duquel s’ouvraient des portes, où l’on passait entre l’intimité des habitants qu’on surprenait en train de manger, de dormir ou bien de rêvasser, où l’on débouchait soudain, après une progression dans des ténèbres un peu crapuleuses, sur l’éblouissante flaque de lumière dans laquelle baignait la Rivière des Perles lorsque le soleil avait vaincu les nuages.
    Alors, Canton devenait une véritable leçon de vie, un exposé implacable sur la façon dont la misère, lorsqu’elle dépasse un certain stade, peut engendrer la peur de l’autre et la convoitise entre les plus pauvres et les plus démunis, créant une situation où, chacun luttant pour sa propre survie, l’entraide et la solidarité n’ont plus cours.
    Dans les rues du port franc régnait cette violence extrême et choquante, qui ne se révélait que par intermittence mais avec une acuité inouïe, rappelant à l’homme qu’il peut être un loup pour sa propre espèce. Londres, malgré ses clochards et ses prostituées qui battaient la semelle dans le froid, ressemblait par comparaison à un joli jardin ordonné peuplé de riches habitants qui disposaient de l’essentiel…
    À Canton, les voleurs à la tire n’avaient ni l’élégance ni la subtilité des pickpockets londoniens : ils arrachaient de force leurs paniers et leurs porte-monnaie aux matrones et même aux

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