La guerre de l'opium
s’entassaient les indigents ; accidents de la circulation avec leurs cortèges de chevaux éventrés et de passants morts ou gravement blessés - qui ponctuaient le quotidien du chaudron en perpétuelle ébullition qu’était Londres.
— Décrire ce que vous verrez de plus sensationnel par le dessin et l’écriture, puis expédier le tout chaque mois par bateau. Ne pas hésiter à aller là où personne ne va. Nous sortir de jolis scoops… Ce n’est pas sorcier, John. Plus vos sujets seront variés - je n’hésiterai pas à ajouter : croustillants… suivez mon regard ! - et mieux l’ ILN s’en portera. Mais je ne vais tout de même pas vous débiter l’intégralité d’une leçon que vous connaissez déjà par cœur, mon cher ! fit le rédacteur en chef qui était repassé derrière son bureau.
— Plus précisément, combien de dessins et d’articles devrai-je vous envoyer chaque mois ?
— Disons cinq dessins et deux articles. Mais vous êtes prié de ne pas vous brider. Si vous tombez sur un truc extraordinaire nécessitant un dossier, il ne faut pas hésiter !
Deux ou trois fois par an, l’ ILN proposait à ses lecteurs un « dossier » d’une quinzaine de pages et d’une vingtaine de dessins, à condition que le sujet fût particulièrement frappant et vendeur. Grâce à son dernier « dossier » qui racontait l’histoire du père Crickton, les ventes du journal avaient bondi de trente pour cent.
Ce religieux avait été envoyé à Hongkong par l’Église anglicane afin d’y ouvrir un orphelinat destiné à recueillir les petites filles dont de nombreuses familles se débarrassaient après la naissance en les abandonnant sur les décharges publiques - parfois même en pleine rue ! -, où elles mouraient de faim et de déshydratation, à moins d’avoir été dévorées vivantes par les chiens errants. Lorsqu’elles atteignaient treize ou quatorze ans, le missionnaire les expédiait à Macao, contre espèces sonnantes et trébuchantes, où elles intégraient les nombreuses maisons closes dont les Portugais avaient favorisé l’implantation parce qu’elles attiraient des milliers de marins qui y laissaient au passage le plus clair de leurs maigres soldes. L’existence de ce trafic avait fini par arriver aux oreilles de l’archevêque de Canterbury, chef de l’Église anglicane, qui avait obligé le missionnaire à quitter son poste. Le correspondant de l’ ILN à Canterbury avait mené l’enquête et obtenu une interview exclusive de Crickton qui avait fait la une du journal.
— Je sais… Si je comprends bien, ma tâche va consister à débusquer un individu qui soit prêtre le jour et cambrioleur ou trafiquant d’opium la nuit ! plaisanta Bowles qui avait retrouvé son sens de l’humour.
— Vous avez tout compris, mon cher John ! s’écria Goodridge dont l’énorme main s’abattit sur l’épaule du dessinateur.
Lorsqu’il quitta le bureau du rédacteur en chef, John Bowles était d’humeur plutôt guillerette.
Pour un journaliste jusque-là cantonné à dessiner les blessés et les cadavres charriés par les faits divers de l’actualité londonienne, ce départ pour la Chine était une aubaine plutôt excitante, même s’il signifiait un changement complet d’existence.
Sur un point particulier, d’ordre sentimental, il tombait même à point nommé.
Après la vie sexuelle débridée et particulièrement riche que lui valait son physique avantageux, cela faisait six mois que le dessinateur de presse avait entamé une idylle avec une jeune institutrice du nom de Margaret Simpson.
Il l’avait rencontrée juste en bas de chez lui, au pub où il avait ses habitudes. Margaret y fêtait son passage à l’échelon supérieur en compagnie de deux de ses collègues d’aspect revêche. Séduit par son joli minois, il l’avait draguée. Cette fille de petits commerçants du Yorkshire était beaucoup moins prude que ses parents. Dès le premier soir, elle avait accepté qu’il l’embrassât. Le surlendemain, elle était dans son lit. La jeune institutrice aux formes épanouies n’avait pas besoin d’être sollicitée. Tantôt c’était son ventre moelleux comme un édredon qu’elle lui offrait et tantôt sa large croupe creusée par deux fossettes au bas du dos. Mais cette situation des plus commodes qui lui permettait d’avoir une femme à sa disposition sans être obligé de payer une prostituée ou de se marier avait
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