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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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s’échapperont pour rejoindre la Clarté Suprême… là où règne le Dragon Jaune. Dès lors, il sera dans le monde des « sans formes   ».
    L’enfant a hâte que son père rejoigne le monde des « sans formes   »… le monde où, forcément, le corps cesse de souffrir.
    —  Il n’a pas encore perdu ses souffles   ?
    —  Tel l’arbre, dont la mort est due à la fuite du vert qui le verdit, l’homme perd ses souffles petit à petit, comme une baudruche se dégonfle… Si tu observes bien le corps de ce criminel, tu le verras changer d’aspect au fur et à mesure que la vie l’abandonne. Bon débarras   !
    Le sang coagulé habille le cadavre de son père d’une armure de guerrier. L’enfant y voit les écailles noires du Dragon des Ténèbres. Du coup, il ne peut s’empêcher de chercher des yeux la perle lumineuse de la Clarté Suprême que ce dragon est censé tenir dans sa bouche.
    Il la voit, brillante comme la pleine lune, surplombant le corps en lambeaux du supplicié.
    Autour du cadavre, plus personne.
    Les mouches, qui n’attendaient que ça, sont à présent à leur macabre office de nettoyeuses. Telles d’horribles coulées bourdonnantes, elles s’agglutinent en vrombissant sur les parties du thorax où le sang n’a pas encore coagulé. Lorsqu’elles sont rassasiées, elles remontent vers le ciel avant de fondre à nouveau sur leur pitance, tels des projectiles : il leur suffit de quelques secondes pour consommer l’énergie qu’elles ont emmagasinée, ce qui les condamne à voler et à manger sans cesse.
    Le bourreau, venu s’assurer que la victime était bien morte, essuie son couteau et s’éclipse, précédé des trois oriflammes devant lesquelles les passants, profil bas, s’écartent avec crainte. Quand un corps devient « sans vie   », les démons entrent en action. Les plus maléfiques n’hésitent pas à s’attaquer aux vivants et à leur inoculer toutes sortes de miasmes… Il vaut mieux passer son chemin. On ne sait jamais   !
    À présent, la place est vide et ce qui reste de son père est hissé dans une charrette tirée par des coolies en haillons.
    La charrette s’éloigne et l’enfant reste seul.
    La vie normale ne va pas tarder à reprendre ses droits.
    Bientôt, après le nettoyage de l’aire du supplice par les chiens et les mouches, plus rien ne signalera la trace des Dix Mille Couteaux, si ce n’est quelques traces de sang qui se dilueront rapidement dans la terre…
     
     
    Un soleil de plomb cogne sur la terre.
    Après avoir marché comme un somnambule dans une atmosphère torride, suffocante, pesante à en être palpable, l’enfant est allé s’asseoir au bord de la Rivière des Perles. Il aime la mollesse trompeuse de ce fleuve capable de faire les pires ravages lorsqu’il est en crue mais qui, par beau temps, apaise son esprit lorsqu’il assiste à son majestueux écoulement vers la mer. Bien des fois, son père l’a emmené là, à l’ombre de l’unique saule pleureur de la berge bosselée et couronnée d’herbes, entre des cabanes de pêcheurs et le ponton de ce petit chantier naval où des hommes réparent des jonques si abîmées et si usées qu’elles ressemblent à des fossiles.
    Il a besoin de comprendre, de faire le point.
    Les ennuis et leur cortège de malheurs avaient commencé au début de la semaine précédente.
    Depuis deux jours, son père avait disparu sans donner de nouvelles. À la maison, l’angoisse avait fait place à l’inquiétude. Les « femmes   », ainsi que les appelait le calligraphe, ne cessaient de gémir et de se lamenter : sa mère, une femme au beau visage triste, qui ne pipe jamais un mot ; sa grand-mère, voûtée comme un vieux saule, que ses pieds trop brisés empêchent de se mouvoir autrement qu’avec mille précautions ; ses deux sœurs, enfin, Jacinthe d’Eau Vive et Bouton de Rose Perle, des jumelles, véritables chipies qui ne font rien de la journée si ce n’est rire, chanter et se moquer des autres, en attendant le jour où la voisine viendra effectuer le premier bandage de leurs pieds après avoir cassé d’un coup sec l’articulation de leur pouce pour bien le rabattre vers le coussinet.
    Les « femmes   » ne se sont jamais insinuées dans le rapport fusionnel entre l’enfant et son père. La calligraphie est un monde d’hommes. Les femmes en sont exclues. Rares sont celles capables de manier la langue écrite.
    Les femmes, en Chine, jusqu’à une période très

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