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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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dont des blocs entiers finissent par céder sous la succion brutale, explosive, impitoyable de l’eau moins froide, bouillonnante et agressive, qui semble se venger d’avoir été retenue prisonnière pendant de si longs mois.
    Dans quelques semaines, la faune et la flore du printemps et de l’été pourront reprendre leurs droits. Les micro-algues, d’abord, vont sortir de leur léthargie, déclenchant l’éclosion en chaîne de plantes de plus en plus nourricières pour la faune aquatique, puis ce sera au tour des alevins et des têtards de s’aventurer dans des eaux qui abondent en oxygène et en nourriture. Pendant trois mois, la Neva regorgera de truites, de saumons et de brochets puis, vers la fin du mois de septembre, les premiers gels mettront un terme à cette effervescence.
    La femme le sait, le temps est cyclique. Les événements reviennent. La malchance se rattrape. Rien n’est jamais définitif, il ne faut jamais renoncer.
    Elle regarde la flèche dorée de l’Amirauté qui lance vers le ciel sa pointe étincelante tandis qu’au loin, partiellement noyée dans la brume, on devine à peiné l’élégante architecture rococo de la façade vert pistache du palais de l’Ermitage.
    En mars, dans cet entre-deux d’un hiver qui hésite à partir et d’un été qui pousse, la ville du tsar Nicolas Ier se pare de couleurs somptueuses mais fragiles, éphémères et parfois indéfinissables.
    Cette femme est une guerrière. Une lionne qui a déjà fait des victimes.
    Aujourd’hui, son beau visage est inondé de larmes.
    Une page de sa vie vient de se tourner : son époux le prince Alexandre Ivanovitch Morossov est mort hier pendant son sommeil, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Il déclinait depuis six mois. Son décès était inéluctable.
    Aussitôt, elle convoqua un médecin afin qu’il constatât le décès.
    —  Monsieur le prince ne s’est pas réveillé. Assurément, il ne se sera aperçu de rien… lui a affirmé le praticien avant de lui présenter ses condoléances.
    Devant ce petit homme dont les doigts boudinés faisaient tourner la chapka sur son bedon, elle prit un air triste. Mais lorsqu’il se crut obligé de lui débiter un vague compliment d’une maladresse insigne en lui assurant qu’il ne se faisait « aucune espèce d’inquiétude à son sujet vu qu’elle était riche et belle   », son sang ne fit qu’un tour et elle ne put se retenir de le gifler.
    La femme a du caractère. Et elle a les moyens de l’affirmer.
    Dans trois jours auront lieu les obsèques de son époux, à la cathédrale Saint-Isaac qui, pour l’occasion, retentira des chants funèbres prévus par les rituels mortuaires de l’Eglise orthodoxe de la Sainte Russie. Le chœur des hommes résonnera sous l’immense voûte dorée et ses voix de basse, en s’élevant vers le ciel, arracheront des pleurs à tous ceux qui ne versent jamais une larme.
    Dans un drôle de chuintement, un bloc de glace vient de basculer dans des eaux noires qui l’absorbent comme la gueule d’un monstre un morceau de sucre.
    La femme remonte le temps, en égrenant les souvenirs d’une vie d’aventurière déjà bien remplie.
    D’abord, elle repense à son mariage avec Morossov. Ils vécurent onze ans ensemble, ou plutôt à côté l’un de l’autre… mais cela, personne ne le sait sinon elle. Il avait plus du double de son âge et ne cessait de lui assurer qu’il l’avait épousée par amour. Les vieillards cacochymes et cousus d’or disent toujours ça aux jeunes femmes belles et en bonne santé qu’ils épousent. C’est pratique pour leurs moitiés à qui cela évite de se justifier ou encore de mentir lorsqu’elles sont interrogées sur les vraies raisons de leur mariage.
    Il n’était pas étonnant que Morossov eût jeté son dévolu sur elle. Jamais, de sa longue vie de coureur de jupon et de célibataire endurci jusqu’à ce mariage tardif, il n’avait croisé de femme aussi séduisante. Il faut dire que la femme de la Neva est charmante, ensorceleuse, divinement belle. Ce n’est pas elle qui le dit, ce sont les hommes. Ils ont tous tendance à tomber à ses pieds… Elle a toujours adoré être désirée. D’ailleurs, à peine le prince l’avait-il vue entrer dans la somptueuse salle de bal où ses amis Galitzine donnaient leur réception annuelle, ses formes somptueuses galbées dans une robe rose fuschia affolante dont le décolleté pigeonnant avait provoqué un murmure d’admiration,

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