La guerre de l'opium
mission.
— Depuis que les pères Évariste Huc et Joseph Gabet AM ont quitté Pékin pour se rendre au Tibet, il semble que leur influence décline… s’empressa de répondre Freitas qui faisait la moue.
— En êtes-vous sûr ?
— Si je vous le dis ! De retour de Lhassa, le père Huc et son assistant étaient de passage à Canton l’année dernière. Selon le père Toubert, ils se répandaient partout en prétendant que les lamas tibétains adorent le Christ ! Avec de telles sornettes, nos amis lazaristes risquent fort de se faire taper sur les doigts par la Curie romaine…
— Comme ce fut le cas de nos anciens… Vous savez, pour convertir des païens, il faut accepter de faire certaines concessions. Et Dieu sait qu’elles coûtèrent cher à notre Compagnie ! soupira Suarez qui faisait allusion aux heures noires de la funeste année 1773.
Comme un enfant pris en faute, Diogo de Freitas Branco préféra ne pas répondre et avala un deuxième bol de thé en y cachant sa face. Chez les jésuites, comme dans toutes les organisations de type paramilitaire, il valait mieux être dans la ligne de ce que pensait le haut commandement…
— Parlez-moi un peu des affaires de notre Compagnie à Shanghai ! Comment vont-elles ? ajouta l’Espagnol, la bouche pleine, à l’attention de son interlocuteur.
— Pas trop mal. Avec un peu plus d’argent, nous ferions de grandes choses et le nombre de nos convertis augmenterait dans des proportions considérables… Vous savez, père Juan, nous partons de très loin. Lorsque je suis arrivé ici, il y a quatre ans de ça, l’œuvre de nos prédécesseurs n’était plus qu’un champ de ruines. Tout était à reconstruire de A à Z…
— Vous ne m’étonnez pas… Mais vous connaissez les règles instituées par notre père général et que notre provincial se doit de respecter scrupuleusement : chaque province est censée pourvoir à ses besoins… asséna l’Espagnol non sans une certaine componction.
— Je m’y emploie vingt-quatre heures sur vingt-quatre !
Freitas faisait tout pour contenir sa colère face à ce collègue qui, bien à l’abri au siège de la province, n’avait aucune idée des difficultés auxquelles les gens du terrain étaient confrontés. Mais combien de capitaines de navire se préoccupaient réellement de ce qui se passait dans leurs cales ?
— Vous ne faites là que votre devoir de jésuite ! conclut Suarez avec sévérité.
D’un seul coup, l’Espagnol était redevenu l’inspecteur sourcilleux qui venait vérifier que les directives étaient bien appliquées à la base.
— Si tout se passe comme prévu, les Français nous achèteront un terrain que les services du vice-roi nous ont cédé à un prix intéressant pour installer leur consulat ! Ce sera là une belle rentrée d’argent ! s’empressa de préciser Freitas.
— A ce propos, êtes-vous entré en contact avec l’envoyé spécial des Français ? Rappelez-moi donc son nom…
— Vuibert… Bien sûr. Dès que j’ai su qu’il arrivait, je suis allé l’accueillir à sa descente de bateau. Nous l’avons hébergé pendant deux mois, le temps qu’il trouve un logement convenable.
— Faire construire un bâtiment consulaire entre-t-il dans le cadre de sa mission ?
— Je l’imagine… Sinon pourquoi les autorités françaises l’auraient-elles expédié jusqu’ici ?
— Dans ce cas… bonne initiative, convint, du bout des lèvres, l’assistant spécial du Provincial de Chine.
Entre les deux prêtres, le duel à fleurets mouchetés se poursuivait.
— Au fait, père Suarez, connaissez-vous la date exacte de l’arrivée à Shanghai de M. de Montigny, le consul nommé par les autorités françaises ? Le jeune Vuibert est dans l’incapacité de me donner la moindre précision à ce sujet !
— Vous avouerez que nous sommes mieux informés que lui : Charles de Montigny arriverait ici avant la fin de l’été.
— J’ai toujours admiré la façon dont certains membres de notre Compagnie étaient capables d’obtenir des informations ultra-confidentielles… gloussa Freitas qui retrouvait sa bonne humeur.
Suarez s’abstint de relever.
— Quel est notre programme ? demanda-t-il au Portugais.
— Tout d’abord, je dois excuser les pères Goes, Anselmy et Jaccard pour leur absence. Leur devoir de missionnaires les a conduits à s’absenter de Shanghai pour
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