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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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aux traits réguliers et aux yeux à peine bridés en eût fait un modèle parfait pour le grand maître italien, son histoire édifiante avait ému Jack Niggles aux larmes lorsqu’il la lui avait racontée. À peine au seuil de l’adolescence, il avait été placé par ses parents auprès d’un marchand de riz qui le traitait comme un esclave jusqu’à ce qu’il décidât de s’enfuir. Il travaillait pour une misère dans une fumerie située juste en face de la maison de Niggles, alors en chantier, lorsqu’il avait croisé l’Anglais venu surveiller sa réalisation. Non seulement il s’était laissé accoster et entreprendre, mais lorsque le marchand d’opium lui avait proposé de passer la nuit avec lui moyennant trois liang de bronze, il s’était empressé d’accepter. Il faut dire que son salaire de misère ne lui permettait même pas de manger à sa faim.
    La première nuit avait été des plus torrides entre Jack Niggles et Zhong le Discret. Pour le remercier, l’Anglais avait invité son nouvel amant à dîner dans un restaurant pour riches. C’était la première fois de sa vie que Zhong était servi à table et qu’il mangeait un vrai repas chinois avec sa quinzaine de plats à la file. Ce rêve jusque-là inaccessible était devenu, grâce à l’Anglais, réalité. Aussi, lorsqu’à l’issue de la soirée ce dernier lui avait proposé de devenir son domestique, il ne se l’était pas fait dire deux fois.
    À présent, le domestique, craignant par-dessus tout que son maître fut tombé amoureux de quelqu’un d’autre, sanglotait de dépit.
    —  Tu n’es pas en cause, Zhong. J’ai tout de même le droit d’avoir envie de dormir   ! s’écria Niggles, excédé, tandis que l’autre quittait la chambre, la mine penaude.
    Demeuré seul, Jack enfila un peignoir et alla calfeutrer les fenêtres avec leurs lourds rideaux de soie, veillant à ce qu’aucun rai de lumière ne filtrât à l’intérieur de la pièce car, sans cela, il se réveillait au petit jour. L’arrivée du Français l’avait rendu fébrile. Avec lassitude, il songea à ses correspondants du siège londonien, ces directeurs payés comme des princes qui en voulaient toujours plus. Comme dans les bateaux, il y avait ceux, dont il faisait partie, qui ramaient en trimant comme des chiens et ceux qui paradaient sur le pont, en se contentant de se laisser transporter, mais qui, en attendant, tiraient les marrons du feu…
    Étaient-ils conscients que les affaires devenaient moins faciles pour Jardine & Matheson, malgré sa puissance et son antériorité sur le marché chinois   ? Savaient-ils que depuis quelques mois, les compradores d’opium se montraient plus retors que jamais dans leurs calculs et plus durs encore dans leurs négociations incessantes   ? Même pas… Au demeurant, comment l’auraient-ils su   ?
    Au siège d’une firme, les technocrates qui maniaient les chiffres n’avaient jamais idée des difficultés rencontrées par les hommes de terrain qui s’échinaient à faire rentrer l’argent dans les caisses   !
    Une fois de plus, le courroux de Niggles se fixait sur Stocklett, ce comptable monté en graine qui l’abreuvait de directives sur la façon dont il fallait rendre compte des activités, un homme de paperasse, pour qui la Chine n’était qu’une entité abstraite, un bureaucrate desséché qu’il avait dû croiser deux ou trois fois dans les couloirs du siège mais dont il ne se souvenait même pas du visage. Des Stocklett, il y en avait à présent des dizaines, chez Jardine & Matheson. Le temps était loin où les fondateurs, livres de comptes à la main, surveillaient en personne le déchargement des cargaisons de leurs navires. La firme, petit à petit prise en main par les bureaucrates, devenait impersonnelle, procédurière, sclérosée. Les structures y prenaient le pas sur les individus. Bientôt, la forme finirait par l’emporter sur le fond et l’esprit d’entreprise serait définitivement enterré…
    Il s’allongea sur le lit et tenta de repérer un détail du décor sur lequel il pourrait fixer son attention pour chasser les idées noires qui l’obsédaient.
    N’était-il pas temps de tout plaquer et de se mettre à son compte, par exemple en se lançant dans le commerce des antiquités à l’instar de Rosy Elliott   ? Mais cela supposait d’affronter la puissante compagnie qui l’employait, un peu comme on décide de mordre la main de celui qui vous nourrit. Et

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