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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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s’appelle votre oiseau rare   ? roucoula Jack dont les yeux lançaient des étincelles.
    —  Antoine Vuibert.
    —  Plaisant patronyme   !
    —  Il parle couramment le chinois et ma foi n’a pas l’air du tout dépaysé depuis son arrivée à Shanghai… Avec un tel élément, l’installation des Français en Chine se fera dans d’excellentes conditions.
    Freitas, conscient de l’intérêt qu’il avait éveillé chez Niggles, eût volontiers continué à faire son article, lorsque celui-ci, partant dans un grand éclat de rire, l’interrompit :
    —  À Londres, ils sont tous persuadés que la France mijote quelque chose pour mettre des bâtons dans les roues à la Grande-Bretagne… Les Français ne supportent pas notre suprématie ici…
    —  Vraiment   ?
    —  Oui   ! Le coq gaulois se croit toujours au centre du monde alors que, depuis Louis XIV, la France n’est plus que l’ombre d’elle-même   !
    —  Que concocteraient donc les Français, selon vous, monsieur Niggles   ?
    —  De ces bizarreries velléitaires dont ils sont coutumiers   ! Du style convaincre les autorités chinoises de refaire le coup de Canton quand ce fou de Lin Zexu fit brûler toutes les cargaisons d’opium de nos navires. Dans le genre bassesses, ils s’y connaissent et ne font pas dans la dentelle…
    —  Vous y allez un peu fort… ne put s’empêcher de murmurer le Portugais.
    —  Si vous voulez tout savoir, j’avais quelque peine à croire que nos chers amis les Français resteraient bras croisés depuis le traité de Whampoa   ! À présent, ils ont un beau jeune homme à pied d’œuvre…
    —  C’est une façon de voir les choses   !
    —  Alors, votre jeune Vuibert, quand est-ce que vous me le présentez   ?
    Freitas exultait. Il pensait avoir du mal à appâter Niggles et voilà que celui-ci ne se faisait pas prier pour mordre à l’hameçon.
    Les gens les plus méfiants sont aussi ceux qui se laissent le plus facilement abuser car l’abus de méfiance conduit à la paranoïa et à l’autisme, deux états qui rendent très vulnérable.
    —  Il faut me laisser le temps de réfléchir à la bonne façon de le convaincre de vous rencontrer sans l’effaroucher. Il ne s’agirait pas qu’il se crispe. Il est capable de se refermer comme une huître à la première occasion…
    Le Portugais en rajoutait, histoire de bien montrer à Niggles que l’affaire n’était pas dans le sac et de garder un levier sur le marchand d’opium.
    —  Je fais confiance à votre sagacité et à votre savoir-faire… En tout état de cause, je tiens beaucoup à rencontrer ce garçon. Il y va de l’intérêt supérieur de la compagnie Jardine & Matheson… assura Niggles, soudain l’air maussade.
    Niggles cachait son jeu. Mû par le désir de voir de près un jeune homme dont la description lui mettait l’eau à la bouche, il voulait à tout prix faire croire au Portugais qu’il voyait d’un mauvais œil l’arrivée de concurrents français susceptibles de lui causer un grand tort.
    Et pourtant, la poignée de Français débarqués à Shanghai, dont le nombre se comptait à peine sur les doigts d’une main, étaient loin de lui faire ombrage. L’horloger de Besançon, le marchand de vin de Bordeaux, le serrurier de Paris ou encore le tonnelier de Beaune étaient tous arrivés là par esprit d’aventure mais aussi par pure inconscience. Venus chercher fortune en Chine, ils vivotaient d’expédients. À l’exception du tonnelier qui s’apprêtait à regagner bredouille sa Bourgogne natale, les autres avaient compris qu’ils avaient tout à gagner à se reconvertir dans le commerce de l’opium, même s’ils percevaient des marges beaucoup plus faibles que celles de Niggles, condamnés qu’ils étaient à grappiller les miettes que Jardine & Matheson voulait bien leur laisser.
    Le Portugais, aussi abusé par son interlocuteur qu’il l’avait abusé, répondit sur le ton de la confidence :
    —  C’est ce que j’ai cru comprendre, monsieur Niggles. Faites-moi confiance… Je ferai tout mon possible pour favoriser cette rencontre.
    L’Anglais crut bon de préciser :
    —  Votre prix, bien entendu, sera le mien…
    —  Dès que j’aurai l’occasion de voir M. Vuibert, je lui ferai part de votre invitation.
    La voix du Portugais était devenue presque métallique et son regard s’était fait dur, tel celui du chasseur qui vient de planter sa flèche dans le cœur de l’animal.

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