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La guerre de l'opium

La guerre de l'opium

Titel: La guerre de l'opium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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parfaitement normal, en apparence, mais en réalité fantasque, surprenant et marginal.
    —  Pas maintenant. Ce soir, je suis fatigué… murmura-t-il avant de se laisser glisser voluptueusement dans le bain parfumé.
    —  Monsieur souhaite-t-il au moins que je lui masse les épaules   ?
    —  Ça, tu peux… répondit Jack Niggles, yeux mi-clos, tandis que Zhong à présent torse nu s’enduisait les mains de baume du Tigre.
    Le domestique commença à les passer avec insistance au sommet du dos de son maître qui plongea aussitôt dans une délicieuse torpeur. Zhong massait à merveille, avec force et douceur, insistant juste là où il fallait, revenant où c’était bon, échauffant lentement les muscles de Niggles, transformant son corps en une chose molle et détendue. Lorsque ce fut terminé, l’atmosphère ouatée de la chambre était saturée par l’odeur enivrante du camphre et Zhong, en nage, murmura dans le creux de l’oreille de Niggles :
    —  Monsieur a-t-il aimé   ?
    —  Tu n’es pas un mauvais masseur, mon Discret. Je te l’ai déjà dit…
    —  Monsieur me donnera bien la petite récompense habituelle. C’était ainsi que le domestique qualifiait l’argent qu’il extorquait à Niggles en échange de ses prestations le plus souvent très épicées.
    —  J’en ai assez d’être plumé, Zhong   !
    Entre eux, c’était un jeu. L’Anglais commençait par refuser de payer avant de céder moyennant l’octroi d’une prestation supplémentaire. Mais cette fois-là, à en juger par son air buté, il n’avait pas l’air de plaisanter.
    —  J’ai terminé le seul pot de baume du Tigre qui me reste… insista le serviteur.
    —  Fiche-moi la paix. On verra ça demain   ! Tu peux disposer.
    —  Ce soir, monsieur ne veut donc pas des services de Zhong le Discret   ? gémit l’intéressé la larme à l’œil.
    C’était la première fois que Niggles, d’ordinaire friand de ses charmes et de ses caresses, l’envoyait promener de la sorte.
    —  Monsieur aime peut-être quelqu’un d’autre que moi… insista Zhong, en larmes, et dont le visage ruisselait du khôl avec lequel il cernait ses yeux.
    C’était parce qu’il avait passé une nuit inoubliable avec Zhong que Niggles l’avait embauché, trois ans plus tôt, comme domestique. En matière sexuelle, les deux hommes interchangeaient volontiers les rôles. Tantôt c’était l’un qui prenait l’initiative et passait à l’action, l’autre se laissant faire et s’abandonnant complètement à son partenaire, et tantôt c’était l’inverse…
    Même si la notion d’amours interdites n’était pas la même, à cette époque-là, en Chine et en Europe, les homosexuels, quand il ne s’agissait pas d’eunuques, ne s’y affichaient guère comme tels, sous peine de perdre la face. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas. Bien au contraire, surtout dans les grands ports comme Shanghai ou Canton. C’est ainsi que dans les maisons de plaisir où les travestis et les invertis faisaient commerce de leur ambiguïté sexuelle, on trouvait aussi bien de bons pères de famille que des marins en bordée. De ces créatures aux mimiques efféminées et aux faciès androgynes recouverts d’une épaisse couche de maquillage, les clients au nez long, jusque-là émoustillés à l’extrême, découvraient en général au dernier moment le véritable sexe. Dès lors, ces « consommateurs   » se répartissaient en deux sortes : ceux qui étaient ravis de l’aubaine - la majorité écrasante - et les autres qui, inquiets d’avoir été abusés, prenaient leurs jambes à leur cou.
    Niggles avait une nette préférence pour les garçons qui avaient, selon son expression et à l’instar de Zhong le Discret, un « visage d’ange raphaélite   ».
    Niggles, dans sa jeunesse, avait arpenté les salles de la National Gallery de Londres, et s’était pris de passion pour le peintre de la Renaissance italienne Raphaël, dont l’œuvre abondait en personnages androgynes ainsi qu’en putti, ces angelots joufflus qui constellaient les tableaux du maître. Sa réinterprétation du canon du Kouros grec, incarné par un jeune homme aux traits réguliers et légèrement efféminés, avait été reprise par tous les grands artistes européens à partir du début du XVIe siècle, faisant éclore le style raphaélite, référence incontournable de l’art occidental pendant des siècles.
    Quant à Zhong, dont le visage

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