La guerre de l'opium
ressemble plus à une rizière qu’une autre rizière !
— Et si ma présence à Canton avait été découverte ? souffla le prince.
— Mais pourquoi dis-tu ça ?
— C’est l’hypothèse la plus plausible !
— Tu inventes… protesta l’antiquaire, dont la gorge était à présent si nouée qu’il pouvait à peine parler.
— C’est toi qui ne veux pas voir la réalité en face ! Jasmin Éthéré a peut-être été enlevée pour me dissuader de poursuivre mes recherches… J’aurais le plus grand tort de ne pas prendre sa disparition comme un signal ! La tâche que je me suis fixée de retrouver La Pierre de Lune revient à chercher des poux sur la tête d’un tigre !
— Comme tu y vas fort !
— Je t’assure… Trop de gens ne souhaitent pas que je retrouve La Pierre de Lune ! Si cet enfant refaisait surface, nul doute qu’il bouleverserait plus de mille plans ! tonna d’une voix vibrante le noble Han en se tordant les mains.
Ces propos avaient touché au cœur Sérénité Accomplie qui, n’y tenant plus, accablé par les remords et par la honte, finit par exploser.
— J’ai honte de moi… J’ai trahi notre secret ! avoua-t-il à son cousin, avant de lui raconter les circonstances dans lesquelles il avait été amené à raconter qu’il hébergeait son cousin venu à Canton pour y rechercher le fils caché de l’empereur de Chine.
— Leur as-tu donné le nom de l’enfant ?
— Hélas !
— Tu es allé jusqu’à mettre en péril la vie d’un innocent ? Comme si cet enfant n’avait pas déjà eu à pâtir de son .ascendance…
Sérénité Accomplie sanglotait comme l’enfant pris en faute.
— Au sein de la Confrérie Interne du Turban Jaune, nous n’avons aucun secret les uns pour les autres ! Si tu savais ce que je regrette mon geste… D’ailleurs, en te l’avouant, je signe mon arrêt de mort. Si les membres du Grand Jaune Centre l’apprenaient, ils me feraient écarteler ! Entre les deux causes, je choisis la tienne !
— Merci pour ce fait d’armes ! lui rétorqua Tang d’un ton aigre.
— Je t’en supplie, ô mon cher cousin, daigne au moins prendre mes aveux comme le signe de l’ampleur de mes regrets éternels ! articula Sérénité Accomplie, complètement défait.
— Te rends-tu compte de ce que tu me demandes ?
— Je serais fou de ne pas mesurer l’ampleur de ma faute. En étant loyal avec mes frères d’armes, je t’ai trahi. Sur le moment, je ne me rendais pas compte des conséquences de mon geste. Très vite, les remords m’ont assailli… Sache aussi que je n’ai jamais prononcé devant mes camarades le nom de Jasmin Éthéré.
— Pourrais-tu le jurer devant la tablette ancestrale de ton vénérable père Sérénité Vivante ?
— Oui !
Tang, pour se calmer, ferma les yeux. Pouvait-il en vouloir à son cousin d’avoir été loyal envers sa société secrète ? À sa place, n’aurait-il pas agi de même ? En ces temps fort troublés, où les patriotes sincères luttaient de toutes leurs forces contre le pouvoir usurpateur, il était difficile de leur reprocher de tout sacrifier à leurs idéaux. Lorsqu’il releva les paupières, l’antiquaire était à ses pieds. Le souffle court, il s’agrippait à ses jambes comme l’homme à la mer s’accroche au canot de sauvetage. Le prince s’empara de sa natte et tira légèrement dessus pour le relever. Il ne voulait pas voir plus longtemps son cousin dans cette posture humiliante. La bonne foi de Sérénité Accomplie était aussi indéniable que la confiance qu’il lui avait témoignée en lui révélant son appartenance à la Confrérie Interne.
— Suis-je encore digne de ton amitié ? hasarda celui-ci en tremblant.
— N’aie crainte, tu en es digne ! murmura son cousin en réprimant un frisson.
— J’ai toujours pensé que tu étais un junzi , ô Tang le prince Han !
— Tu es trop bon. Dix mille années ne suffisent pas pour devenir un tel homme de bien !
Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et se donnèrent l’accolade, avant de laisser abondamment couler leurs larmes.
— Tu sais… murmura Sérénité Accomplie en essuyant ses pleurs.
— Quoi, mon cher cousin ?
— … je ne mettrai plus les pieds dans la société secrète du Grand Jaune Centre ! Dussent-ils me pourchasser pour haute trahison…
— Les Triades
Weitere Kostenlose Bücher