La guerre de l'opium
la charogne, les pillards étaient passés par là et avaient tout raflé, au grand désespoir des habitants lorsqu’ils revenaient sur les lieux.
Un malheur ne venant jamais seul, cela faisait trois jours qu’il était parti à la recherche de Jasmin Éthéré. Trois jours qui lui paraissaient déjà l’éternité. Trois jours pendant lesquels, hagard et inconsolable, il n’avait fait que tresser une corde pour attacher le vent. Il avait eu beau errer du matin au soir dans les rues de Canton à la recherche du moindre indice, fouillant les décombres des édifices éventrés, soulevant la moindre planche suspecte, questionnant sans relâche les commerçants, la contorsionniste demeurait introuvable.
Brusquement, la pluie cessa et les hurlements d’un chien le sortirent de sa torpeur.
Très vite, sous l’effet du soleil écrasant qui avait succédé à la grosse averse, l’eau dont le sol était gorgé commença à s’évaporer, effaçant peu à peu les flaques dont les contours rétrécirent, rendant à la terre sablonneuse sa lumineuse couleur ocre originelle. Il faisait si chaud qu’il décida d’aller s’asseoir à l’ombre de l’unique arbre visible à l’horizon, un saule pleureur centenaire qui poussait en aval, à quelques encablures, et dont les branches retombaient en cascade sur les eaux du fleuve comme si elles avaient décidé de lui rendre un ultime hommage avant qu’il ne se jette dans la mer. Fragilisé par le désespoir, il suait à grosses gouttes et son cœur battait à rompre lorsqu’il s’affala, au bord de l’évanouissement, contre le saule, qui n’était pourtant situé qu’à une centaine de mètres. À hauteur de ses yeux, les eaux du fleuve formaient un tapis argenté sur lequel les rayons du soleil se diffractaient en mille couleurs aux infinies nuances.
Il ne fallut que quelques secondes à Tang pour basculer dans le monde des songes et voir le tapis aquatique se transformer en longue lame d’épée cherchant à transpercer le beau dragon surgi des eaux et sur le dos duquel il avait réussi à monter après l’avoir sifflé comme le maître son chien.
À présent, il chevauchait le dragon et ses jambes serraient le cou de l’animal fabuleux dont les grosses écailles luisantes formaient un caparaçon invincible. Il était euphorique : grâce au dragon des eaux auquel le temps et l’espace appartenaient, il ne mettrait pas longtemps à débusquer Jasmin Éthéré et à la ramener au bercail… Mais l’épée semblait avoir compris qu’elle ne pourrait pas transpercer l’animal fabuleux que Tang s’apprêtait à faire décoller vers les nuages, et s’était de nouveau changée en eau pour prendre la forme d’une immense vague verte et ourlée d’écume qui menaçait de les engloutir. Tang, qui ne savait pas nager et voyait déjà sa fin prochaine, se mit à supplier le dragon en lui caressant l’encolure.
— Décolle vers les nuages ! Fais vite !
— Je ne crains rien puisque j’habite dans les profondeurs du fleuve ! répondit l’animal.
— Toi peut-être ! Mais moi, c’est différent ! Je ne suis pas un poisson du fleuve !
— Tu n’as qu’à te laisser pousser des écailles ! plaisanta le dragon dont le rire, qui semblait parvenir des entrailles de la terre, faisait trembler le sol.
Tang se sentait plus fragile qu’un fétu de paille et comme à la merci de forces qui le dépassaient. La conscience de peser si peu, face au destin et aux éléments, l’accablait au plus haut point.
La vague verte était à présent à quelques centimètres de lui. Elle avait la forme d’une immense bouche à l’intérieur de laquelle luisaient des millions de langues de jade phosphorescentes. S’il voulait éviter d’être absorbé comme un vulgaire morceau de nourriture par cette caverne merveilleuse et terrible, il lui fallait à tout prix sauter de l’encolure du dragon. Mais, au moment où il tentait de prendre son élan, il sentit des sortes de crochets s’agripper à ses jambes.
Il était pris au piège ! Le dragon et l’eau étaient de mèche !
Il allait être englouti lorsqu’il se réveilla brusquement, enveloppé d’angoisse et en proie à un épouvantable mal de crâne. Ce n’étaient pas les pattes d’un dragon qui le retenaient prisonnier mais tout simplement les racines obstinées et tortueuses du vieux saule contre lequel il s’était assis.
Persuadé que la folie le gagnait, il se traîna
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