La guerre de l'opium
ne sont pas du genre à faire de quartier pour ceux de leurs membres qui font défection ou qui divulguent leurs secrets à l’extérieur ! À Pékin, j’ai entendu plein d’histoires à ce sujet… où il était question de victimes auxquelles on avait coupé la langue avant de les égorger… Il ne faut pas rester ici, ô Sérénité Accomplie, car ta vie est en danger ! souffla Tang d’une voix blanche.
— Je ne quitterai Canton qu’après avoir atteint l’objectif que je me suis fixé : t’aider à retrouver Jasmin Éthéré et La Pierre de Lune ! Il est si rare qu’il soit donné à un homme la possibilité d’effacer ses erreurs…
— Je t’en suis reconnaissant ! Je crains que nous ayons fort à faire…
— D’autant que nous ne sommes pas les seuls à traquer La Pierre de Lune ! gémit, à nouveau au comble du désespoir, l’antiquaire, d’une voix étreinte par l’angoisse.
— La police impériale ne l’a toujours pas retrouvé… Pour tout te dire, je ne crains pas trop sa concurrence… Si elle était si efficace, il y a belle lurette qu’elle aurait mis fin aux jours de La Pierre de Lune.
— Je ne pensais pas à la police impériale mais à certains de mes anciens camarades du Grand Jaune Centre qui parlaient de capturer La Pierre de Lune pour s’en servir d’otage dans le but de faire chanter le Fils du Ciel…
— Ils n’ont pas froid aux yeux ! Et comment comptaient-ils mettre la main sur lui ?
— Un certain Wang le Chanceux nous expliqua que La Pierre de Lune se rendait de temps à autre chez un pasteur américain du nom de Roberts… Malgré son regard fourbe, ce sale individu n’avait pas l’air de fanfaronner, souffla l’antiquaire d’un air sombre.
Tang, tout ragaillardi par la nouvelle, se précipita vers son cousin, puis, après avoir saisi ses mains avec effusion, lui lança :
— Mais c’est là une information capitale ! Pourquoi as-tu tant tardé à me la donner ? Sais-tu où habite ce Roberts ?
— Au Panier Jaune !
— On y part tout de suite ! hurla Tang fou d’espoir, sous le regard un peu moins défait de celui qui l’avait trahi.
27
Environs de Canton, 20 juin 1847
La Pierre de Lune et Antoine Vuibert semblaient s’être donné le mot : ils ronflaient comme des sonneurs lorsque le cliquetis de la serrure de leur geôle leur fît ouvrir un œil en même temps. Le grincement de la porte acheva de les convaincre que c’était l’heure du réveil.
— Debout là-dedans ! hurla d’une voix de stentor un petit homme maigre et rabougri comme un échalas, au visage basané et coiffé d’un turban, qui venait de faire irruption dans la pièce.
— Il fait déjà jour ? souffla La Pierre de Lune encore tout ensommeillé.
— Tu n’as donc pas entendu le chant du coq ? s’enquit l’échalas sur pattes en accompagnant sa question d’une violente tape sur l’épaule.
— Même si le coq ne chantait pas, le jour se lèverait. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un vieux proverbe… lui rétorqua en bâillant le jeune calligraphe, avant de se lever et après s’être copieusement étiré.
L’humour mal placé et les rudes manières de ce drôle de geôlier ne lui disaient rien qui vaille.
— Figure-toi que ton vieux proverbe, je le connais ! Je le trouve même stupide ! répliqua, furieux, l’échalas, avant de lui balancer un coup de pied dans les tibias.
Malgré la chaîne qui limitait ses mouvements, La Pierre de Lune s’écarta. La demi-portion basanée se tourna ensuite vers Antoine Vuibert, qui venait à son tour de s’asseoir sur sa couche, le regard encore tout embrumé de sommeil.
— Alors, ce matin, viande ou poisson ? lui lança-t-il comme on s’adresse à un chien.
— C’est quel genre de viande ? Je ne supporte pas le porc épicé ! lui répondit le Français en faisant la moue.
Antoine gardait le plus mauvais souvenir des conséquences de l’ingestion de ce plat lorsqu’il était à Suzhou. Il ne s’était pas méfié et avait englouti une montagne de travers de porc laqués au piment sans se douter que la suite allait être à ce point cuisante…
— Ce matin, j’ai du poulet sauce caramel, vinaigre et soja… répondit l’homme en ouvrant le couvercle d’une boîte en bambou tressé.
— Dans ce cas, va pour le poulet ! Hier, j’ai pris du poisson. Il faut savoir changer.
— Et toi
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