La guerre de l'opium
? fit, sur un ton méprisant, le geôlier en se tournant vers La Pierre de Lune après avoir rempli le bol d’Antoine Vuibert.
— Pareil. Comme lui. Du poulet fera l’affaire ! répondit le fils caché de l’empereur.
Cela faisait un jour et une nuit que les deux hommes croupissaient dans cette maudite cabane aux fenêtres grillagées, attachés au mur par une chaîne. Quant au petit homme à la peau cuivrée qui les avait réveillés pour leur donner à manger, il passait le plus clair de son temps à dormir sur un bananier, à quelques mètres de l’endroit où les deux prisonniers étaient enfermés.
— Que vont-ils faire de nous ? s’écria le Français, une fois leur geôlier reparti.
C’était au moins la dixième fois qu’Antoine Vuibert, pâle et défait, posait la question à La Pierre de Lune.
Le jeune Français, dont l’aventure chinoise virait au cauchemar, vivait fort mal sa nouvelle condition de prisonnier. Lorsqu’il avait décidé d’accompagner Niggles à Canton, alléché par l’aubaine d’un juteux commerce d’antiquités chinoises, il était loin de se douter qu’il finirait enfermé dans une cage après avoir été capturé par les pirates.
C’était peu dire qu’il avait joué de malchance.
Lorsque les malandrins s’étaient emparés du Dragon Rouge, ils avaient parqué les passagers à l’arrière du pont supérieur et en avaient fait deux groupes : ceux qui ne les intéressaient pas et les autres. Pourquoi son faciès d’étranger avait-il valu à Antoine Vuibert de se retrouver du mauvais côté de la barrière ? Il y avait sûrement de bonnes raisons, mais celles-ci demeuraient mystérieuses… Toujours est-il que les malfrats ayant remarqué sa connivence avec La Pierre de Lune, ils avaient promptement ligoté les deux hommes en compagnie du capitaine du navire et de son chef cuisinier. Après quoi, le commando s’était livré à une fouille systématique du Dragon Rouge dont ils avaient vidé les cales qui regorgeaient de nourriture avant de faire monter dans un canot leurs quatre otages. Un homme aux petits yeux cruels les attendait sur la rive où ils avaient débarqué. C’était le chef des assaillants du navire, à en juger par la crainte et le respect qu’il inspirait à ses sbires, lesquels baissaient les yeux avec effroi dès que ce sale individu leur donnait un ordre.
— J’espère que la récolte a été bonne ! avait lâché l’instigateur de l’attaque du bateau à l’attention de son commando.
— Malheureusement, ô Épée Fulgurante, ce n’était qu’un bateau-restaurant… avait gémi l’un des pirates, sur le ton d’un petit garçon pris en faute.
— Si je comprends bien, il n’y avait à bord que de la bouffe !
Le pirate, penaud et piquant du nez, demeurait coi, comme si répondre l’eût exposé à de terribles représailles. Mais dès qu’il avait aperçu Antoine Vuibert, le visage d’Epée Fulgurante s’était éclairé et l’ordre - aussi sec que précis - avait claqué :
— Le nez long anglais, vous me le mettez de côté… avec celui-là.
Par « celui-là », il désignait La Pierre de Lune.
— Les deux autres, vous les laissez repartir… Au fait, pourquoi ne m’as-tu pas dit tout de suite que vous m’en aviez trouvé un !
Manifestement, le chef des pirates était tout guilleret d’avoir mis la main sur un Anglais… Antoine, sachant qu’il n’y avait rien de pire que de faire perdre la face à un chef devant ses troupes, avait jugé qu’il n’était pas opportun, à ce stade, de rectifier le propos et de dévoiler sa véritable nationalité. Quant au pirate durement mis en cause par son chef et qui avait déjà retrouvé le sourire, il avait répondu, soulagé :
— Je savais bien que tu n’aurais pas mis longtemps à t’en apercevoir…
— Et son ami, qu’est-ce qu’on en fait ? s’était alors écrié, en désignant La Pierre de Lune, un adolescent armé jusqu’aux dents qui ne devait pas avoir plus de douze ou treize ans.
— Attachez-les ensemble… des fois que ce fils de pute anglais se sentirait esseulé !
Aussitôt dit, aussitôt fait : ils avaient été menottés et reliés l’un à l’autre par une chaîne. Leurs ravisseurs les avaient ensuite fait marcher deux bonnes heures à travers les champs de canne à sucre et les rizières jusqu’à un village perché au sommet d’une colline. Ils avaient parcouru son unique rue,
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