La guerre de l'opium
n’avait d’autre choix que de s’enfoncer dans le mensonge.
— Monsieur Partridge, je souhaite dédouaner de la marchandise. C’est pour ça que j’ai besoin de vos services. Il y en a pour cent dix caisses. En provenance de Shanghai… Mais bloquées dans un entrepôt sur le port de Canton depuis six mois. Un petit bout de papier portant le cachet du consulat d’Angleterre suffirait pour que les douaniers me la délivrent ! Ces douaniers de Canton sont d’un borné ! Et aussi, bien plus honnêtes que je ne le pensais… L’abominable Lin Zexu les a tous changés. Les vieux - ceux qui étaient, disons… sensibles à certains arguments… sonnants et trébuchants - sont partis à la retraite. Ils ont été remplacés par des jeunes gens suffisamment idiots pour être incorruptibles. Bien entendu, si vous acceptez de me rendre ce service, je vous rémunérerai grassement
Vuibert ne pouvait pas avouer qu’il risquait à tout instant d’être démasqué par le consul de Grande-Bretagne pour la simple raison qu’Elliott connaissait déjà sa bobine. Aussi se risqua-t-il à demander à son interlocuteur :
— Pourquoi n’allez-vous pas vous-même au consulat de Grande-Bretagne pour y faire tamponner votre certificat ?
— Nous nous sommes mal compris, monsieur Partridge… La marchandise ne peut être dédouanée que par un ressortissant britannique !
— Un ressortissant étranger provenant d’un autre pays ne ferait-il pas aussi bien ? Je pense à un Français… précisa Antoine, qui cherchait désespérément à orienter différemment le cours des choses, même si c’était jouer avec le feu.
La Pierre de Lune regardait son compagnon d’infortune avec un mélange d’admiration et d’effarement.
— Monsieur Partridge, ici, c’est moi qui pose les questions ! rétorqua le chef des pirates d’une voix coupante.
— Et si je n’acceptais pas ? lui lança Vuibert en le défiant du regard.
— De très gros ennuis commenceraient pour vous et pour votre ami… Si vous voulez sortir d’ici en vie, il faut que vous acceptiez de m’aider, monsieur Partridge ! fit l’homme en se curant l’oreille avec son ongle démesuré.
— Tu n’as pas froid aux yeux ! souffla La Pierre de Lune à Antoine, après qu’on les eut reconduits dans leur cage.
— Je voulais en savoir plus sur les motivations de ce trafiquant Personne n’aime avancer dans le brouillard ! Malheureusement, cet homme a l’air coriace. Je n’ai réussi qu’à l’agacer…
Une heure plus tard, ils entendirent cliqueter le cadenas de la porte. C’était le petit gardien basané. Derrière lui se tenait Epée Fulgurante.
— J’ai décidé de t’envoyer en mission dès aujourd’hui ! Je n’ai pas envie de laisser l’arbre devenir un bateau ! Plus la marchandise attend et plus elle risque d’éveiller les soupçons des douaniers… lança le pirate au Français.
— Je veux bien vous rendre service mais encore faudrait-il que je sache exactement ce que je devrai faire… lui rétorqua ce dernier.
— Tu seras briefé comme il convient… et accompagné en permanence par un de mes hommes, des fois qu’il te viendrait à l’idée de me fausser compagnie… s’écria Epée Fulgurante en faisant signe au gardien de détacher Antoine Vuibert.
— Pourrais-je accompagner mon ami ? À deux, nous ferions plus vite… Avec mon camarade, nous avons l’habitude de collaborer… hasarda La Pierre de Lune.
Il ne se faisait guère d’illusions sur la réaction du pirate mais avait cru bon de tenter le coup.
La réponse de ce dernier ne se fit pas attendre et fusa, cinglante :
— Tu me prends pour un couillon ou quoi ? Tu sortiras d’ici lorsque ton ami sera revenu me voir avec ce que je vais lui demander de me rapporter !
L’enfant secret du Fils du Ciel n’avait même pas eu le temps d’articuler une réponse que son compagnon fut violemment traîné vers l’extérieur tandis qu’un mauvais sourire s’affichait sur la face de celui qui avait capturé les deux hommes.
Épée Fulgurante avait réussi son coup.
28
Canton, 20 juin 1847
La nuit lourde et poisseuse n’avait pas permis à la chaleur étouffante de la journée précédente de se dissiper que les premiers rayons du soleil pointaient déjà à travers les persiennes.
Laura, désespérée et en proie à un accablement total, sans aucune nouvelle de La Pierre de Lune,
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