La guerre de l'opium
l’avait pas affectée, à moins que, dans son rigorisme de bonne chrétienne, elle n’eût décidé d’ignorer un acte qu’elle réprouvait. Quelle que fût l’hypothèse, sa conduite était pour le moins choquante.
— Tu veux dormir ? s’enquit, la mort dans l’âme, sa fille, qui s’apprêtait à la laisser se reposer.
Ce n’était guère le moment de régler des comptes, ni de lui faire des reproches… et encore moins de lui avouer sa grossesse !
Barbara Clearstone marqua un temps de silence. Elle semblait réfléchir. Sa fille Laura posa ses lèvres sur son front.
— Peux-tu fermer cette porte. J’ai quelque chose d’important à te dire… lança la mère à la fille, au moment où celle-ci franchissait le seuil de la chambre.
Laura s’exécuta et vint s’asseoir à son chevet. Barbara lui prit la main. Dans ses yeux, Laura pouvait lire une immense détresse. Aux commissures de sa bouche, des pastilles de bave témoignaient d’un état d’anxiété maximum. Après avoir avalé à grand-peine sa salive, elle se mit à parler sans oser regarder sa fille, les yeux fixés vers le plafond, regardant un je ne sais quel horizon où se mêlaient déjà souvenirs inavouables et regrets cuisants.
— Laura, il faut que je te dise la vérité… Brandon n’était pas ton papa… A présent qu’il n’est plus de ce monde, il me paraît normal que tu le saches !
Des larmes roulaient sur ses joues hâves où elles creusaient des sillons brillants comme la pluie lorsqu’elle tombe sur une colline argileuse.
— De qui suis-je donc la fille, maman ? lâcha Laura, abasourdie.
Elle avait l’impression étrange que le sol de la chambre venait de s’ouvrir sous ses pieds, découvrant un abîme insondable. Comme si elle avait peur de tomber dans ces gouffres, elle s’agrippa tant bien que mal à l’un des montants du lit. Anéantie et regardant sa mère comme une étrangère, elle l’entendit répondre :
— De Nash Stocklett ! Je m’étais juré de ne jamais le dire à personne. Je ne veux pas te laisser croire que tu es orpheline, ma chérie, puisque ton vrai père est toujours vivant… N’est-ce pas mieux ainsi ?
Puis, d’une voix douce, étrangement lointaine, hachée par les sanglots, elle commença à raconter à sa fille son idylle avec Nash à Durham, leur séparation et leur rencontre fortuite chez le marchand de fleurs d’Oxford Street, puis leur liaison secrète qui avait tourné court, au grand dam de Nash. Son récit avait la forme étrange d’un conte qui commençait bien et se terminait fort mal.
— M. Stocklett est-il au courant qu’il est mon père ?
— Il ne l’a jamais su ! s’écria fièrement Barbara Clearstone.
— Comment as-tu fait croire à Brandon qu’il était mon père ?
— Les hommes n’ont pas de calendrier précis dans la tête, ma chérie. Disons que j’ai fait en sorte qu’il ne puisse se douter de rien… Je suis une grande pécheresse, ma chérie. J’ai beaucoup à me faire pardonner de la part de Notre-Seigneur Tout-Puissant… murmura Barbara dont le visage était à présent noyé de larmes.
Sans le vouloir, dans la pénombre de sa chambre, elle venait ainsi d’avouer à sa fille la raison du comportement expiatoire qui était le sien.
— Au point d’avoir décidé de consacrer le reste de ta vie aux gens d’ici ? hasarda Laura en prenant la main de sa mère.
— Oui ! Tu as tout compris, ma chérie… murmura celle-ci en lui baisant la main qu’elle mouilla de larmes.
— Pourquoi n’as-tu pas épousé M. Stocklett lorsque tu as été enceinte de moi ?
À trois reprises, Laura réitéra sa question, mais la réponse ne vint pas.
Elle ne savait pas encore que cette réponse ne viendrait jamais. Malgré des yeux fiévreux et grands ouverts, Barbara Clearstone était brusquement tombée dans le coma à la suite de la rupture d’un minuscule vaisseau sanguin dans le lobe gauche de son cerveau.
Laura, croyant sa mère assoupie, décida de regagner sa chambre, lorsqu’elle tomba sur ce pauvre Bowles, qui l’attendait dans le couloir, l’air passablement décontenancé.
N’y tenant plus, elle explosa :
— Que faites-vous ici ? Qu’attendez-vous pour ficher le camp !
— Je voulais simplement m’assurer que vous alliez bien… bredouilla-t-il.
— Figurez-vous que je suis assez grande pour m’occuper de moi toute seule ! Vous n’avez plus rien
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