La guerre de l'opium
broches et de bracelets en or massif.
— Je n’ai que faire de vos colliers et de vos boucles d’oreilles ! Je m’en suis bien passée jusqu’à maintenant ! D’ailleurs, les parures et les bijoux, je ne pense pas en avoir besoin.
La jeune contorsionniste le regardait à nouveau avec dureté.
— J’aime ta personnalité fière. Tu serais d’origine noble que je n’en serais pas étonné… Sais-tu que tu me plais de plus en plus, Jasmin Éthéré…
— Je ne suis pas à vos ordres ! Vous pouvez garder vos compliments.
Dans la chambre qui paraissait s’écraser sous les caissons dorés à la feuille et lourdement ouvragés du plafond, il rapprocha très lentement - pour ne pas l’effaroucher - son visage du sien, de sorte qu’il pouvait mesurer à quel point la peau presque diaphane du visage de Jasmin Éthéré était douce ; telle une subtile enveloppe de soie, elle faisait ressortir le vert étincelant de ses yeux ; sous l’effet de la contrariété, ses narines s’étaient dilatées et sa bouche faisait une moue où il pouvait lire tout le mépris qu’elle éprouvait à l’égard de sa conduite.
Bref, elle était adorable.
— Tu es lumineuse comme l’étoile de la Tisserande, celle qui rejoint tous les ans la constellation du Bouvier par le pont de la Grande Voie Lactée… lui murmura-t-il dans le creux de l’oreille.
Il n’osait pas lui avouer qu’il la trouvait encore plus sensuelle que lorsqu’elle avait dansé nue devant lui sur la scène du Toi et Moi.
— J’ignore tout de ce Bouvier et de cette Tisserande… lâcha-t-elle, au bord des larmes, en se recroquevillant, genoux contre le menton.
Il vint alors à l’idée de cet homme habitué aux honneurs et aux femmes de lui proposer de partager une collation. Après le thé, c’était une suite normale.
— Veux-tu manger quelque chose ? lui souffla-t-il avec des airs de jeune amoureux transi.
— Je n’ai pas faim !
— Mon cuisinier va nous préparer d’excellentes crevettes frites au gingembre.
Il s’apprêtait à sonner son valet principal pour lui demander d’avertir la cuisine lorsque cet homme au front bas et à l’air sévère fît irruption dans la chambre, l’air affolé.
— Je parie que le Palais Impérial souhaite me voir… soupira le prince.
— Effectivement, Votre Seigneurie. L’Inestimable Daoguang vous fait dire de venir le plus rapidement possible dans ses appartements privés à la Cité Pourpre. Son second secrétaire Toujours Là vous attend devant la Grande Porte du Méridien avec le sauf-conduit.
Les propos du serviteur avaient rendu le prince hilare, exultant et gai comme un pinson. Il se tourna vers Jasmin Éthéré qui regardait ailleurs, pas mécontente de ce contretemps, se rua vers elle et tomba à ses genoux en s’écriant :
— Tu m’as porté chance, Jasmin Éthéré ! Tout arrive en même temps. L’empereur en personne me convoque ! Cela fait des années que j’attends ça ! Quand le Fils du Ciel convoque un de ses sujets, il ne saurait être en retard. Pendant mon absence, une collation te sera servie. Après quoi, si tu veux prendre un bain parfumé, les femmes de chambre y pourvoiront…
Après avoir enfilé un vêtement de cérémonie, il courut en toute hâte jusqu’à la Cité Interdite. Grand dragon échoué dans une ville composée de maisonnettes basses et rabougries aux murs de briques poussiéreuses, elle était à quelques pâtés de maisons de son palais, pas difficile à trouver, vu la hauteur de ses murailles pourpres et la taille de ses portes majestueuses, imposantes, glaçantes pour le peuple qui baissait le front lorsqu’il passait devant les soldats en grand uniforme chargés de les garder jour et nuit.
Dès que le prince Tang aperçut la silhouette - longue perche fluctuante et écarlate - de l’eunuque Toujours Là, perché sur ses chaussures à semelles compensées, qui faisait le va-et-vient en se poussant du col sur le perron de la Grande Porte du Méridien, son euphorie baissa d’un cran et son visage se rembrunit.
Toujours Là était l’un des huit Seconds Secrétaires particuliers du Fils du Ciel. Trois d’entre eux étaient eunuques et cinq étaient entiers. Étant le plus âgé des huit, en l’absence du Premier Secrétaire décédé l’année précédente et qui n’avait pas encore été remplacé, il était l’un des rares, avec trois ou quatre grands ministres, à pouvoir
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