La guerre de l'opium
sèche : vue de près, Jasmin Éthéré était encore plus désirable que sur la scène du Toi et Moi.
— Cheveux en nuée et visage en fleur ! murmura le prince les yeux rivés sur sa gorge dont il eût aimé caresser sans attendre la peau soyeuse.
Comme tout lettré qui se respecte, il était également poète à ses heures.
Jasmin Éthéré le regarda, interloquée.
Voyant son étonnement, le prince crut bon de préciser :
— C’est un vers d’un poème de Du Fu.
— J’ignore qui est ce monsieur…
— Le plus grand poète de la dynastie des Tang… mes illustres ancêtres qui régnèrent sur la Chine.
— Je n’ai pas l’honneur de les connaître non plus !
Jasmin Éthéré, et pour cause, ignorait tout de l’histoire des dynasties chinoises, ce qui décida Tang, de plus en plus émoustillé par le charme et l’innocence de la belle contorsionniste, à quitter au plus vite le domaine de la culture et des arts pour entrer dans le vif du sujet.
Il s’assit dans un fauteuil de style rococo tapissé de damas.
— D’où viens-tu, ô Jasmin Éthéré ? Et pourquoi n’as-tu pas les pieds bandés ?
— J’ai passé mon enfance dans un village de montagne situé à environ trois cents li de Wuhan.
— Que font tes parents ?
— Je suis orpheline. La mine de sel où travaillaient mon père et ma mère fut inondée par des pluies torrentielles et ils y périrent noyés. Je n’avais que deux ans et demi. C’est ma grand-mère qui m’a vendue, lorsque j’en ai eu dix, à un cirque ambulant, lequel m’a recédée à un autre, plus grand, et ainsi de suite. J’ai tourné dans dix spectacles. Le producteur du dernier m’a laissée au Toi et Moi contre espèces sonnantes et trébuchantes dont je n’ai jamais vu la couleur ! Quant à mes pieds, s’ils sont entiers, c’est parce qu’à la maison, il n’y avait pas assez d’argent pour payer la femme qui bandait ceux des petites filles… lui expliqua la jeune femme.
D’ordinaire fort peu loquace sur son passé, elle était quelque peu étonnée par la facilité avec laquelle elle venait de raconter tout cela à ce prince dont le regard insistant n’était pourtant pas fait pour la rassurer.
— Tu l’as échappé belle… Tel est du moins mon avis !
Tang, contrairement à tous les hommes issus de son milieu, n’était pas vraiment porté sur cette coutume qui ne lui procurait aucune excitation physique particulière lorsqu’il se retrouvait dans un lit avec une femme qui gardait aux pieds ses minuscules chaussons de soie ou de velours aux semelles brodées.
— C’est aussi le mien. Si mes pieds avaient été bandés, je ne pourrais pas danser sur scène… Je plains toutes ces femmes dont les pieds ont été cassés ! souffla Jasmin Éthéré.
— Tu ne pourrais même pas marcher dans la rue sans prendre un palanquin ! murmura Tang dont la main ne put s’empêcher de frôler l’un des plis de la robe de Jasmin Éthéré.
Ce jour-là, à l’instar des nonnes bouddhistes, elle portait - précaution oblige - une méchante robe grisâtre boutonnée jusqu’au cou qui ne laissait rien transparaître de son exceptionnelle souplesse ni des atouts qu’elle lui avait dévoilés la veille, quand elle avait dansé entièrement nue sur la scène du cabaret
— Que me voulez-vous ? lâcha-t-elle en reculant vivement
Le prince, dont le désir desséchait la gorge, brûlait d’aller au but.
— Que tu te déshabilles ! Pour admirer un beau bijou, il faut le sortir de son écrin !
— Pas maintenant !
— Pourquoi ce refus, Jasmin Éthéré ?
— Je ne veux pas que vous entriez en moi. Je suis dans la période où ma Vallée des Roses suinte le sang… lâcha-t-elle d’une voix tremblante mais sans cesser de soutenir le regard de ce prince prêt à bondir sur elle comme un tigre sur sa proie.
— Je veux te voir sans aucun vêtement ! insista doucement le prince Tang, envahi par sa fulgurante beauté et saisi de vertige devant les images de Jasmin Éthéré de dos, de profil et de face, avec le flot caressant de ses cheveux et la douceur des courbes de son cou si gracile, que les miroirs de la chambre lui renvoyaient.
— Mais pourquoi tenez-vous à me voir nue ? Vous avez déjà tout vu !
Le directeur du Toi et Moi ne lui avait pas menti. La fille était beaucoup plus coriace qu’il ne le pensait. Habitué à être obéi au doigt et à
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