La Guerre Des Amoureuses
l’endroit où il serait à l’abri de la vengeance des Gelosi. Quant
à Gabriella, puisqu’elle rentrait à Mantoue, elle n’était plus un danger, pour
autant qu’il n’aille pas en Italie.
Il songea un instant à demander la protection
de la reine avant de se raviser. Elle n’avait plus besoin de lui maintenant que
les Gelosi étaient en France, et s’il devenait gênant, elle le ferait disparaître
d’un coup de poignard.
Il décida donc de rester tout en cherchant une
opportunité pour se débarrasser d’Isabella.
Le lendemain, samedi,
la duchesse de Montpensier demanda à la reine l’autorisation de rentrer à Paris.
Ce voyage l’avait affaiblie, se justifia-t-elle, et elle voulait rejoindre son
frère Guise pour se reposer. La reine accepta, pas fâchée de la voir partir.
Dans la journée, tandis qu’Olivier et son
commis travaillaient dans la tour des Marques sur les comptes de l’intendance, Cabasset
s’introduisit dans sa chambre et subtilisa les papiers qu’il cherchait.
Le lundi, Nicolas
Poulain et son lieutenant reçurent la visite du fermier de la Baiserie. Comme
tous ceux qui logeaient des gens de passage, le fermier devait signaler au
prévôt de l’hôtel l’arrivée et le départ des voyageurs qu’il hébergeait. Il le
faisait une ou deux fois par semaine, apportant leur passeport, ou, s’il ne
pouvait le faire, demandant à ses visiteurs de se présenter eux-mêmes au prévôt
ou à son lieutenant.
C’est ce qu’avait fait le gentilhomme italien
qui était venu voir le lieutenant de Poulain, expliquant moitié en français, moitié
en italien qu’il faisait étape pour quelques jours à Chenonceaux, sa compagne
étant malade. Son passeport était en règle et indiquait qu’il se nommait
Castello et qu’il était gentilhomme de la chambre du duc de Gonzague, le frère
de Nevers.
Le lieutenant de la prévôté de l’hôtel s’était
étonné qu’il loge dans cette ferme inconfortable, mais l’Italien l’avait
rassuré. Incidemment, il lui avait d’ailleurs indiqué qu’il n’était pas le seul
gentilhomme à la ferme.
Sur le coup, le lieutenant n’avait pas relevé
cette remarque, mais maintenant que le fermier était devant lui, il demanda
sans chercher malice :
— Qui est cet autre gentilhomme dans
votre ferme dont m’a parlé le seigneur Castello ?
Le fermier parut d’un coup pétrifié.
Il n’avait jamais déclaré qu’il logeait
Maurevert et ses spadassins. Maurevert lui avait donné trois écus pour son
silence et l’avait menacé de trois coups de dague s’il ne le respectait pas. Mais
ne pas avoir appliqué les règlements de police pouvait maintenant lui valoir le
fouet et le pilori.
Habituellement, Nicolas Poulain n’assistait
pas aux visites des logeurs, laissant son lieutenant ou des sergents s’en
occuper. Aujourd’hui, il attendait la visite d’Olivier pour examiner avec lui
les achats de ravitaillement. En effet, avec la pénurie de nourriture, les
marchandises étaient de plus en plus chères et l’intendant de la reine s’était
plaint.
Nicolas Poulain ne prêtait guère attention au
dialogue entre son sergent et les visiteurs mais fut troublé par l’attitude de
ce fermier, visiblement terrorisé.
— Qui est ce gentilhomme ? demanda-t-il,
intrigué.
— Je… Il n’est pas resté, monsieur le
Prévôt… C’est pour cela que je n’en ai pas parlé… Il n’a passé qu’une nuit, implora
le fermier.
— Il vous a présenté son passeport ?
— Oui, monsieur le Prévôt. Je n’ai pas eu
le temps de venir… et il aurait dû passer vous voir…
— Où est-il maintenant ?
— Il est parti, monsieur le Prévôt.
Croyant éviter les ennuis en mentionnant la
sœur du duc de Guise, il ajouta :
— Il rejoignait Mme la duchesse de
Montpensier.
Cette remarque surprit encore plus Nicolas
Poulain.
— Comment le savez-vous ? Ils vous l’ont
dit ?
— Oui, monsieur le Prévôt, la duchesse
est d’ailleurs venue le voir.
— À votre ferme ?
Que la duchesse se soit rendue dans cette
ferme malpropre de la Baiserie était invraisemblable ! se dit Poulain, ou
alors, elle avait quelque chose à cacher !
— Comment s’appelait ce gentilhomme ?
insista-t-il.
— M. Le Vert, déglutit le fermier.
— Le Vert ! s’étouffa Poulain, sous
le coup de la surprise.
L’année précédente, après que des truands
commandés par un homme boiteux et manchot eurent attaqué la maison
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