La Guerre Des Amoureuses
pas
en danger. Il décida pourtant de la surveiller, car si elle avait agi ainsi, c’est
qu’elle le soupçonnait. S’il le fallait, il la ferait disparaître avant qu’elle
ne l’accuse.
Le lendemain, il ne la quitta pas des yeux. Bien
qu’elle parût ne jamais faire attention à lui, il remarqua qu’elle l’évitait.
Le soir, après les répétitions, il la vit se
lever au milieu du repas en déclarant qu’elle était fatiguée et qu’elle allait
se coucher. Se souvenant qu’elle s’était comportée ainsi deux jours plus tôt, il
remarqua la femme masquée qui se levait aussi, à l’autre bout de la pièce, et
qui empruntait l’escalier derrière Isabella.
Feignant une quinte de toux, il quitta la
salle à son tour.
En haut de l’escalier, il se dirigea vers la
chambre d’Isabella et colla son oreille à la serrure.
— Tu n’as rien trouvé ? entendit-il.
— Non, Gabriella. Il n’y avait que des
vêtements et des papiers sans importance.
— Cela veut seulement dire qu’il est
prudent.
Il reconnaissait cette voix : c’était
celle de Gabriella Chiabrera ! Elle était donc vivante ! Et comment
pouvait-elle être ici ?
— Tu devrais malgré tout rentrer à
Mantoue avec nous, dit-elle.
Entendant du bruit dans l’escalier, Ludovic se
précipita dans sa chambre et n’entendit pas la suite de la discussion.
— Comment convaincre Flavio et mon époux ?
Certes ils seront aussi soulagés que moi de te savoir vivante, mais je ne veux
pas accuser Ludovic sans preuve. Flavio le tuerait. Et s’il est innocent, j’aurai
à nouveau un crime sur la conscience. Je vais être très prudente, rassure-toi. Je
ne parlerai pas de toi, et à la première crainte que j’ai, nous partirons.
— Tu sais que mille florins t’attendent à
Mantoue ! dit Gabriella en souriant.
Les deux femmes s’embrassèrent. En se
dirigeant vers la porte, Gabriella ajouta, l’air soucieux :
— Un curieux incident a eu lieu hier soir
à la ferme de la Baiserie où je loge. Un coche est arrivé dans la nuit et une
femme a rejoint nos voisins de chambre. Une duchesse.
— Il y a la duchesse de Retz ici, et la
duchesse de Montpensier. Laquelle était-ce ?
— Je ne sais pas… mais elle a parlé de
son frère le duc de Mayenne.
— C’était donc la duchesse de Montpensier,
dit Isabella, continue…
— Nos voisins sont des gens étranges, ils
sont quatre : deux Italiens, un jeune homme et un vieil homme boiteux. Ils
ne sortent jamais sinon pour s’entraîner à l’escrime. Ce sont plutôt des
spadassins, tu vois. À travers la cloison, j’ai surpris leur conversation. La
duchesse leur demandait de partir à Montauban pour enlever une femme nommée
Cassandre. La fille d’un M. de Mornay. Ils veulent attirer le roi de
Navarre dans un piège. J’ai écouté, car j’ai d’abord pensé que ce qu’elle
disait avait un rapport avec les Gelosi, mais ils n’en ont pas parlé, ni de la
reine. Il semble qu’il s’agisse d’un autre complot.
— Cela ne m’étonne pas, la Cour n’est qu’intrigues
et luxure ! répliqua Isabella en secouant la tête. Ton histoire est bien
triste pour cette pauvre fille qui va se faire enlever, mais je ne veux pas m’en
mêler. D’ailleurs, à qui en parler ? À la reine ? Je n’aurais que ton
témoignage… Et ça nous entraînerait trop loin…
— Je ne veux d’ailleurs pas témoigner, je
serai partie demain. Je t’ai juste raconté ça pour que tu le saches, rien d’autre,
peut-être cela aura-t-il de l’importance plus tard…
— J’ai bien peur que d’ici l’arrivée du
roi de Navarre, il se passe bien d’autres choses épouvantables, mais nous ne
sommes que des comédiens, cela ne nous regarde pas. Porte-toi bien, Gabriella.
— Toi aussi, Isabella.
Ludovic parcourait
sa chambre comme un lion en cage. Sa première résolution avait été de s’enfuir.
S’il tombait entre les mains des Gelosi, c’en était fini de lui. Puis il se
raisonna, s’il avait à fuir, il devait préparer sa fuite. Cela allait lui
prendre quelques jours. Après tout, Isabella ne l’avait pas encore dénoncé, car
elle n’avait pas de preuves… et elle n’en aurait jamais. Donc, il avait du
temps devant lui. En se calmant, il en revint même à sa première idée : s’il
trouvait une occasion favorable, il se débarrassait d’elle. Pourquoi pas un
accident dans le voyage ? Ce serait mieux que de fuir, car il n’avait
aucune idée de
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