La Guerre Des Amoureuses
la clef de sa malle. Il devait la garder
dans son pourpoint, ou attachée à son cou, se dit-elle, dépitée. Elle essaya de
se souvenir du genre de coffre qu’il avait… Une grosse malle en bois, assez
vieille. Pouvait-elle être restée ouverte ? Sinon, elle pourrait peut-être
la forcer ? Après tout, il croirait à un voleur…
Elle alla prévenir son mari qu’elle avait un
fort mal de tête et qu’elle rentrait à leur auberge. Depuis les tortures qu’elle
avait subies, Isabella était sujette à de telles douleurs et on ne s’inquiéta
pas de son départ.
Elle revint au village, entra dans l’auberge
et pénétra dans la chambre des comédiens. Leurs coffres étaient le long des
murs. Elle alla droit à celui de Nicolas, une malle cerclée de lames de fer
avec de gros clous.
La serrure paraissait bien rouillée et le
coffre vermoulu. Elle chercha un outil dans la chambre, en vain. Elle alla donc
dans sa propre chambre chercher une dague de chasse de son mari.
Pour briser la serrure, elle dut monter sur le
coffre afin d’exercer une pression suffisante avec la lame. Enfin elle parvint
à l’ouvrir. À l’intérieur, il y avait des vêtements, des costumes de scène et
des masques ainsi qu’un couteau et un pistolet à rouet. Au-dessous de tout cela
se trouvaient plusieurs lettres d’un seigneur nommé Claude Gouffier, marquis de
Caravaz, à Mme Vincenza Armani. Elle les parcourut. Dans l’une d’elles, Claude
Gouffier écrivait à Mme Vincenza Armani qu’il avait pris des dispositions
pour que leur fils ne soit jamais dans le besoin. Un autre feuillet était la
copie d’un acte notarié signé Claude Gouffier, grand écuyer de France, seigneur
d’Oiron, qui cédait le fief de Garde-Épée à Jacques Ancellin, marchand à
Beauvais, avec l’autorisation d’édifier une maison à créneaux dénommée L’Espée
de Garde. Un dernier feuillet était un plan sommaire qui délimitait le fief
avec une ligne entre un carré noté L’Espée de Garde et un autre noté Notre-Dame.
Tout cela n’était pas très clair. Isabella
savait que Ludovic était le fils de Vincenza Armani, une des grandes
comédiennes des Desiosi. Ces documents semblaient montrer que Ludovic était
aussi le fils naturel de ce Claude Gouffier. Mais pourquoi Ludovic n’avait-il
pas fait valoir ses droits ? Sans doute y avait-il eu une difficulté
inattendue, se dit-elle, mais comme ces papiers ne concernaient en rien l’affaire
de Mantoue, elle les remit soigneusement en place.
De retour à la grange, elle eut le temps de
replacer la clef dans la poche du manteau où elle l’avait prise. Plus tard
Ludovic découvrirait qu’on avait forcé son coffre, mais elle jugea que c’était
sans importance.
Effectivement, Ludovic s’en aperçut le soir
même et s’affola. Il vérifia soigneusement le contenu du coffre. Or, il ne
manquait rien. Qui l’avait forcé ? Un de ses compagnons ? Mais
pourquoi maintenant ? Quelqu’un de l’hôtellerie ? Mais les coffres de
ses voisins n’avaient pas été brisés, alors qu’ils étaient aussi fermés à clef.
Un frisson le parcourut comme l’évidence s’imposait :
c’est après lui qu’on en avait ! C’est alors que son regard fut attiré par
un minuscule morceau de tissu turquoise, une déchirure de broderie de robe
accrochée à un des clous des ferrures. Une servante ?
C’était l’heure du souper. Ne pouvant rien
découvrir de plus, il descendit dans la salle commune. En bas, il commença à
examiner les robes des femmes. Ressentant alors la vague impression qu’on le
regardait, il se retourna avec indifférence et découvrit que c’était Isabella
Andreini. Elle détourna le regard et se rendit à leur table tandis qu’il
remarquait l’accroc en bas de sa robe turquoise.
C’était elle ! Mais pourquoi avait-elle
fouillé son coffre ?
Il resta taciturne durant le repas, l’esprit
ailleurs. Angoissé, il se souvenait de ce qu’avait dit Flavio après l’évasion, des
menaces qu’il n’avait jamais cessé de répéter : s’il attrapait celui qui
les avait fait emprisonner, et qui était responsable des tortures d’Isabella, il
le découperait en lanières. Ludovic savait que cette menace était à prendre au
pied de la lettre.
Mais pour l’instant, Isabella n’avait fait que
fouiller ses affaires après avoir certainement obtenu la clef de la chambre d’un
de ses compagnons. Comme il ne possédait rien de compromettant, il n’était
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