La Guerre Des Amoureuses
ensuite à la messe en grande dévotion. Durant l’office,
il marmonna des mots incompréhensibles en égrenant un chapelet de têtes de mort
que depuis quelque temps il portait à sa ceinture, et fit en apparence tous les
actes d’un dévot catholique.
En apparence, car au sortir de l’église, ses
proches l’entendirent se moquer de ces simagrées et déclarer en brandissant son
chapelet :
— Voilà le fouet pour mes ligueux !
Ses fidèles ne savaient plus que penser. Quelle
comédie jouait le roi ? Pourquoi refusait-il d’affronter la Ligue ? Cherchait-il
seulement à gagner du temps ?
À la fin du mois, Richelieu prévint Poulain que
M. de Villequier, pourtant un des plus fidèles serviteurs du roi, penchait
de plus en plus vers les Lorrains. Or, Villequier avait entendu dire que
Nicolas avait rencontré le roi. S’il en parlait à Mayneville, son rôle d’espion
pourrait bien être mis au jour.
Cet avertissement angoissa fort le lieutenant
du prévôt d’Île-de-France qui, depuis l’échec de la dernière conspiration, n’était
plus convié aux réunions de la Sainte Union. Il songea même à quitter Paris
avec sa famille. Mais pour aller où ?
Dans la capitale, la famine et le froid
tuaient chaque jour. L’hiver n’en finissait pas. Il gela tout le mois de mai et
le setier de froment atteignit trente livres. Le pain et le bois étaient hors
de prix. Des campagnes et des faubourgs affluaient des centaines de mendiants. Autour
de Paris, le désordre régnait, partout les maisons des protestants étaient
pillées et leurs familles soumises à la fureur des plus cruels fanatiques. Plusieurs
femmes, accusées d’avoir assisté à des prêches, furent même brûlées. Avec sa
troupe, Nicolas Poulain tentait difficilement de réduire ces violences mais son
chef, le prévôt Hardy, avait rejoint la Ligue et partout les prédicateurs
exigeaient une guerre totale contre les huguenots.
Les officiers et les magistrats n’étaient plus
payés. L’argent manquait si cruellement que le roi saisit les rentes de l’Hôtel
de Ville pour régler ses dépenses, ce qui ruina la bourgeoisie rentière. Il fit
aussi vendre quantité de biens appartenant à l’église. À la Cour, les jalousies
se déchaînaient, car le souverain n’avait plus les moyens de distribuer des
largesses comme dans le passé.
Son beau-frère, le duc de Joyeuse, et son archimignon,
le duc d’Épernon, étaient devenus de farouches adversaires. Non seulement ils
cherchaient à obtenir le plus d’honneurs et d’avantages mais ils s’opposaient
sur la politique du royaume.
Anne de Joyeuse était issue de petite noblesse.
Gentilhomme de la chambre à dix-sept ans, son ascension avait été fulgurante :
conseiller d’État à dix-neuf ans, chevalier de Saint-Michel à vingt ans, duc et
pair à vingt et un. Fat, ambitieux et cruel, il avait épousé la sœur du roi et
poussait à un rapprochement avec les Lorrains.
Épernon avait connu à peu près la même
ascension mais était autrement habile et calculateur. Sur le point de se marier
avec une nièce de M. de Montmorency, il défendait un rapprochement
avec Navarre. Détesté pour sa magnificence et sa morgue, Épernon était
cependant l’homme fort du Louvre où il ne se déplaçait qu’entouré d’un centaine
de gentilshommes, sans compter les quarante-cinq gardes du corps qu’il avait
donnés au roi.
Le roi avait plusieurs fois essayé de
réconcilier ses deux mignons en déclarant à la Cour combien il les aimait.
— Je ne vous tiens pas pour mes
serviteurs, seulement comme mes frères, répétait-il inlassablement.
Un jour, il les avait même contraints à
échanger leurs chapeaux ainsi que le sien, puis à s’embrasser en affirmant
publiquement :
— Nous ne sommes que trois têtes en un
chapeau !
Seulement ces simagrées n’avaient servi à rien
et Henri III avait compris qu’il devait les éloigner l’un de l’autre pour
éviter un bain de sang, mais aucun des deux ne voulait quitter la Cour si l’autre
y restait.
Dans ce climat de haine, ballotté par les
factions, réduit à la ruine, Henri III laissa sa mère trouver un
accommodement avec Guise. Avec son accord, elle se rendit à Reims à la mi-mai. Seulement
ce n’était pas uniquement la paix qu’elle avait en tête, elle avait aussi des
questions sur Nicolas Poulain à poser au cardinal de Bourbon.
Après l’échec des
conférences de Saint-Brice, et le retour du duc de
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