La Guerre Des Amoureuses
il était entré. Elle venait de l’ouvrir et n’avait pas eu le temps de le
refermer. Le vieillard devait être le fameux Ruggieri, l’empoisonneur bien
connu. Donc il venait de porter quelque chose que Catherine de Médicis avait
mis à l’intérieur, sans doute du poison. Cela avait-il un rapport avec la
rencontre avec Henri de Navarre ?
8.
Le mardi 10 juin
Dans son coche, tout
au long du trajet entre la rue du Fer-à-Moulin et l’hôtel de la reine, Isabeau
de Limeuil – Mme Sardini – resta préoccupée. Catherine de Médicis l’attendait
avant vêpres. Que lui voulait-elle ? Cela faisait plus d’un an qu’elle n’avait
pas vu la reine et elle n’avait plus été convoquée de la sorte depuis son
mariage.
Elle n’échangea pas une parole avec sa dame de
compagnie. Hans et Rudolf, les deux Grisons protestants au service de son mari,
l’escortaient à cheval. Comme toujours quand ils accompagnaient leur maîtresse,
ils portaient corselet, gorgerin et barbute italienne couvrant leur nuque, lourde
épée de taille d’un côté, miséricorde de l’autre, gantelets de maille et bottes
ferrées. Le banquier Sardini était détesté des Parisiens qui s’en seraient pris
avec plaisir à sa voiture.
Le cocher fit entrer le véhicule dans la cour
de l’hôtel et les Suisses accompagnèrent Isabeau et sa suivante dans la grande
antichambre. Là, l’intendant conduisit Mme Sardini dans les appartements
de la reine, laissant les serviteurs attendre en bas.
Quand Isabeau entra dans la grande chambre de
Catherine de Médicis, celle-ci était figée sur son large fauteuil habituel, toute
en noir comme d’habitude, le visage marmoréen et bouffi. Elle n’était pas seule.
À côté d’elle, debout, immobile, se tenait le minuscule et redoutable M. de Bezon.
Limeuil frissonna.
Gouverneur des nains de la reine, nain
lui-même, M. de Bezon ne dépassait pas une vingtaine de pouces. Vêtu
avec une rare élégance, son épée à pommeau d’or et de nacre indiquait qu’il
était gentilhomme et la lourde chaîne en or qu’on apercevait sous sa barbe
grise parfaitement peignée, ainsi que les nombreuses bagues à pierres
précieuses à ses doigts, prouvaient sa fortune. Comme toujours, il arborait l’expression
dédaigneuse d’un Grand d’Espagne.
Isabeau de Limeuil savait que M. de Bezon
était le fils de Balthazar de Sade, seigneur de Saint-Rémy. Elle avait bien
connu sa sœur, la belle et redoutable Reynière, dame d’honneur de Catherine de
Médicis – comme elle – qui vivait désormais en Provence avec son époux viguier
d’Aix [49] .
Si Reynière et Bezon n’avaient aucune
ressemblance physique, ils partageaient un caractère dur, un même esprit fin, et
surtout une même habileté aux armes. Reynière de Sade avait longtemps été l’espionne
de Catherine de Médicis, et Bezon était toujours le chef de sa police secrète. À
la tête de la minuscule armée des nains dont personne ne se souciait, il savait
tout ce qui se passait dans l’hôtel de la reine. Et il n’hésitait pas à punir, Rapin
se chargeant des châtiments.
La porte fermée, la reine arrêta sur Isabeau
de Limeuil le coup d’œil fascinateur de l’oiseau de proie sur sa victime.
— Vous n’avez guère changé, Isabeau, remarqua-t-elle,
tout sourire.
— Vous non plus, madame, répondit Mme Sardini
en s’agenouillant et baisant sa robe.
— Vous mentez toujours aussi bien, fit la
reine en gardant son sourire figé. Mais relevez-vous donc ! Comment va M. Sardini ?
— Bien, madame.
— J’ai appris qu’il a quelques soucis
avec monseigneur de Guise et ses amis.
— Des soucis passagers, madame, certainement
dus à sa fidélité à Sa Majesté.
Au printemps de l’année précédente, la banque
Sardini avait remis à M. de Mornay, surintendant de la maison de
Navarre, neuf cent mille livres en échange de quittances. Cet argent était sur
le compte de M. Jehan Salvancy, un receveur général des tailles qui avait
organisé une grande opération de fraude au bénéfice de la Ligue. Pour être
payées, les quittances devaient porter sa signature et son sceau.
Cassandre de Mornay avait contrefait le sceau
et Salvancy, sous la menace du marquis d’O et d’Olivier Hauteville, avait
lui-même signé les documents autorisant le paiement, avant qu’ils ne leur
soient extorqués par M. de Mornay.
Quelques jours plus tard, une vingtaine d’hommes
d’armes conduits par
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