La Guerre Des Amoureuses
guerre avec Navarre. Il
n’apprécierait pas que son banquier et ami correspondît avec son ennemi.
Cette fois, la menace était à peine voilée. C’était
donc la raison de cette convocation… Une mise en garde.
— Mais la paix sera bientôt faite avec
mon gendre, rassurez-vous, Isabeau. Navarre aura certainement beaucoup de
plaisir à vous revoir tant il estime votre époux…
Isabeau se figea. Quand elle était la
maîtresse de Condé, Navarre avait dix ans. Elle se souvenait de l’enfant qu’il
était. Elle l’avait revu lors de son mariage, et il lui avait fait un brin de
cour, mais elle était à ce moment-là Isabeau Sardini, femme fidèle à son mari. Elle
en avait fini avec sa vie passée de bordelière. Que lui voulait Catherine de
Médicis ? Qu’elle reprenne son ancienne activité de puterelle au sein de l’escadron
volant ? Qu’elle séduise Navarre ? À son âge ? Cela n’avait
aucun sens !
— Madame… Je suis mariée, et honnête
femme, je ne crois pas que mon honneur, ni celui de mon mari, m’autoriserait à
rencontrer seule monseigneur de Navarre, mais il y a autour de vous bien des
dames d’honneur qui le souhaiteraient.
— Votre honneur ? Ma fille, je vous
ai connue moins prude quand vous dansiez nudonato [51] à Chenonceaux avec Mme de Sauves, ironisa méchamment la
reine.
Elle se reprit pour ajouter d’un ton moins
rude :
— Mais rassurez-vous, ce n’est pas ce que
vous croyez, Isabeau. D’ailleurs, vous êtes trop vieille et trop flétrie pour
mugueter avec mon gendre.
Dans un sourire glacial, elle considéra
Isabeau qui rougissait de honte.
— Navarre n’aura aucune envie de
rataconniculer avec vous, soyez-en certaine. Simplement, il appréciera votre
compagnie, car je sais qu’il a confiance en vous et dans votre époux… Cela seul
compte pour moi…
— Que voulez-vous, madame ?
— Que vous restiez avec lui, que vous
parliez du passé, des affaires de votre mari aussi, et… s’il a soif, que vous
lui serviez à boire…
Isabeau comprit, ou crut comprendre.
— Non, madame ! s’exclama-t-elle.
Le silence tomba. Bezon restait impassible, la
reine s’était figée.
— Che cosa ? Mà… Pour qui
vous prenez-vous, petite ? s’exclama-t-elle enfin avec méchanceté.
— J’en ai terminé avec mon passé, madame.
J’ai payé les dettes que j’avais envers vous.
— Les dettes ? Certainement ! Vous
êtes libre d’accepter ou de refuser de venir avec moi. Vous pouvez partir, si
vous le souhaitez. (Elle tendit une main vers la porte.) Simplement, sachez que,
dans ce cas, il n’y aura pas de lit de justice.
— Mon mari comprendra, madame, que mon
honneur passe avant sa fortune.
Isabeau s’agenouilla. La reine lui donna sa
main à baiser d’un geste indifférent et lui fit signe de s’en aller.
Isabeau se leva et recula vers la porte.
— J’avais aussi demandé à M. de Bezon
de vous parler d’un enfant dont il a découvert la trace, marmonna Catherine.
Cette fois, ce fut Isabeau qui se figea.
— Un enfant qui serait né en octobre 1565…
Isabeau sentit la pièce tourner autour d’elle.
Depuis vingt ans elle pensait chaque jour à cet enfant. Le second qu’elle avait
eu avec le prince de Condé et qu’on lui avait pris quand ils s’étaient séparés.
En chancelant, le visage hagard, elle revint vers
la reine mère.
— Que savez-vous, madame ?
— Ce sera un marché, Isabeau, rien qu’un
marché, répliqua sèchement la reine. Je vous dirai où est votre enfant
uniquement si vous m’aidez.
Isabeau resta silencieuse un moment, mais elle
savait qu’elle était vaincue. Pour cet enfant qu’elle cherchait depuis toujours,
elle était prête à tout.
— Je vous aiderai, madame.
— In buon’ ora ! O che parla bene !
Chez les Sardini, le
souper rassemblait les gentilshommes de la maisonnée et les principaux commis
de la banque, mais ce soir-là Isabeau demanda à son époux qu’ils dînent seuls. Le
repas terminé, et les domestiques sortis, elle lui raconta son entrevue avec
Catherine de Médicis. Selon elle, la reine mère lui demandait de gagner la
confiance du Béarnais pour lui faire boire un poison, comme elle avait déjà agi
avec sa mère. Elle avait refusé, mais la reine lui avait parlé de la situation
financière de son mari et, sous la menace qu’il perde l’affermage des impôts qu’on
lui avait promis, elle avait accepté.
Elle ne parla pas de son enfant
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