La Guerre Des Amoureuses
disparu.
M. Sardini savait qu’elle avait eu un fils du prince de Condé, et qu’il
était mort, mais il ignorait, comme tout le monde, qu’elle avait eu un second
enfant qu’on lui avait repris quand le couple s’était séparé.
— J’irai donc, expliqua-t-elle, si vous m’y
autorisez, mais je ne donnerai jamais rien à boire à Henri de Navarre. Au
contraire, je le préviendrai…
Sardini ne répondit pas tout de suite et resta
un instant à méditer en lissant sa barbe. Isabeau avait eu raison d’accepter. Sans
l’affermage de ces nouveaux impôts, il était ruiné, mais sa femme se trompait
si elle pensait trahir facilement Catherine de Médicis. L’Italien connaissait
la reine mère et devinait qu’elle disposait d’un autre moyen de pression. Un
moyen dont Isabeau ne lui avait pas parlé. Quel secret pouvait-elle lui cacher ?
— Vous avez eu raison, lui dit-il, mais
en prévenant Navarre, il vous faudra être très prudente. Il y aura des espions
partout et la reine va vous faire surveiller.
— Je ne crains rien, mon ami, lui
assura-t-elle. Je serai plus forte qu’elle.
— Combien de temps durera ce voyage ?
— Je ne sais. La reine pense convaincre
Navarre de la retrouver à Chenonceaux ou à Loches. Mais rien ne dit qu’il
acceptera…
— Il acceptera ! assura Scipion
Sardini. Sa situation est bien trop mauvaise en ce moment. Mais il cherchera
surtout à gagner du temps. Donc ce déplacement sera long, il durera
certainement plusieurs semaines, sinon plusieurs mois.
» Préparez-le soigneusement. Il vous
faudra au moins trois chariots, et une douzaine de chevaux. Je vous donnerai
Hans et Rudolf. Gardez toujours l’un d’eux auprès de vous. Vous prendrez aussi
vos femmes de chambre, au moins trois serviteurs dont l’un sera intendant, ainsi
que mon médecin. Vous resterez sans doute quelque temps à Blois pour attendre
ce que Navarre aura décidé…
— Certainement, car à Chenonceaux nous
serons très à l’étroit.
— Vous logerez donc chez nous. Vous y
aurez au moins un peu de confort. J’enverrai quelques valets faire préparer le
logis et porter des meubles.
Elle le remercia, mais après qu’elle eut
quitté la pièce pour retourner dans ses appartements, Scipion Sardini resta
seul à réfléchir.
Il ne voulait perdre ni sa femme ni sa fortune.
Devait-il prévenir Navarre ? C’était fort dangereux autant pour lui que
pour Isabeau si sa lettre tombait dans de mauvaises mains. De surcroît, envoyer
un messager était impossible avec la guerre qui faisait rage en Gascogne, et
personne ne savait où se trouvait le Béarnais. Son seul recours contre la reine
mère était son propre fils, le roi.
Le lundi suivant, Henri III
vint au parlement tenir un lit de justice pour imposer aux parlementaires, qui
refusaient de les enregistrer, vingt-sept édits présentés par son chancelier. Tous
augmentaient les impôts et chacun savait que cet argent devait servir à
financer la guerre contre Navarre imposée par Guise, aussi furent-ils appelés
les édits guisards.
Parmi ceux-ci, un des édits défendait aux
procureurs de la Cour et du Châtelet de faire exercice de leur état s’ils n’avaient
payé à Scipion Sardini une lettre de confirmation de deux cents écus.
Après le lit de justice, Scipion Sardini
glissa un placet à Henri III pour lui demander audience. Le lendemain, il
vint au Louvre en passant par le pont dormant, la porte principale du palais
depuis que Pierre Lescot l’avait agrandi. Épée au côté, richement habillé, entouré
de nombreux domestiques et gentilshommes à son service, lui et sa troupe
pénétrèrent dans la salle des Caryatides après avoir laissé leurs montures aux
valets. L’immense pièce décorée des statues de Jean Goujon était pleine de
pages en habits multicolores, de serviteurs aux livrées armoriées, de
gentilshommes aux capes brodées de perles, d’hommes de guerre cuirassés, de
magistrats en robe et de bourgeois en bonnet.
Ce jour-là, le roi avait dîné à huis ouvert
dans la salle de parade de l’étage afin de démentir les bruits qui couraient
sur sa santé. Le repas terminé, il était descendu et se promenait maintenant au
milieu des courtisans qui espéraient un regard, un mot ou un sourire de celui
qui pourtant n’avait presque plus de pouvoir. Sardini l’aperçut en compagnie de
Chicot – un gentilhomme qui jouait au bouffon –, du banquier da Diacceto et du
marquis d’O. Autour de ce
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