La Guerre Des Amoureuses
ôter leurs poux. Quant aux odeurs, elles étaient
insupportables, même si les plus délicats s’aspergeaient de parfum tandis que
les plus courageux allaient se laver dans la Loire.
En ville, les auberges étaient pleines et
Nicolas Poulain avait bien du mal à imposer l’ordre et à éviter les
débordements. Heureusement, il était aidé dans sa tâche par le capitaine des
gardes de la reine et discrètement par M. de Bezon que tout le monde
craignait.
Pour adoucir les caractères, Catherine de
Médicis donna fêtes, ballets et comédies tous les jours. Les Gelosi avaient
monté leur estrade dans la grande salle des États et durant le séjour la reine
s’entretint à plusieurs reprises avec Isabella Andreini.
D’abord, elle reçut les Gelosi dans sa chambre
de parade en présence de ses nains et des dames de son escadron volant. Elle
organisa des jeux, des concours de poésie et des tournois de musique au luth et
à la viole.
Les jours suivants, la reine ne fit venir qu’Isabella,
en présence de sa petite-fille Christine de Lorraine et de ses favorites :
Mme de Sauves, Isabeau de Limeuil et les deux jeunes dames d’honneur,
Cassandre et Hélène. Au fil de leurs longues discussions, Catherine essayait de
cerner le caractère de la comédienne et de la mettre en confiance. Elle parla
de son gendre Henri, le roi de Navarre, et surtout de sa grand-mère Marguerite
de Navarre qu’elle avait connue et aimée quand elle était arrivée à la cour de
France. En effet, la poétesse auteur de l’Heptaméron était la sœur de
François Ier qui avait décidé le mariage de Catherine de Médicis avec son
fils cadet Henri.
La reine mère était adroite pour tendre ses
filets. Quand elle fut certaine qu’Isabella l’aimait, elle la reçut seule et
lui assura que Navarre serait séduit par les spectacles des Gelosi et qu’il
voudrait sans doute la rencontrer, tant elle ressemblait à Marguerite de
Navarre.
Elle ajouta en retenant quelques larmes que ce
serait hors de sa présence car, pour son malheur, son gendre se méfiait d’elle.
Toujours vêtue de noir, avec sa coiffe en dentelle, la reine apparut à Isabella
comme une vieille femme très malheureuse. Quand elle lui dit qu’elle aurait
souhaité qu’elle la remplace pour recevoir le roi de Navarre, Isabella fut si
touchée qu’elle fondit en larmes. Pour la première fois depuis qu’elle avait
quitté l’Italie, elle oublia le meurtre qu’elle avait commis et la mort de son
amie Gabriella. Flattée de tant de confiance et d’affection, elle promit à la
reine de faire tout ce qu’elle lui demanderait.
Catherine de Médicis eut aussi de longues
entrevues avec Mme de Sauves et avec Isabeau de Limeuil. Avec la
maîtresse du duc de Guise, elle n’eut pas à jouer la comédie. Charlotte de
Sauves avait connu tous les hommes de la Cour et quand la reine lui proposa dix
mille écus pour redevenir durant une nuit ou deux la maîtresse du roi de
Navarre, elle accepta.
À Isabeau de Limeuil, la reine mère confirma
qu’elle savait ce qu’était devenu son enfant. Mais pour connaître la vérité, elle
devrait faire boire un philtre à Henri IV. Isabeau refusa.
— Ce philtre, Isabeau, je vous le
remettrai la veille, vous n’aurez qu’à l’essayer sur un animal si vous pensez
qu’il s’agit d’un poison. C’est le même que vous avez reçu pour séduire le
prince de Condé, se justifia Catherine de Médicis.
— Mais dans quel but, madame ? Pour
que je séduise Navarre ? Je suis trop vieille !
Catherine eut cette expression pitoyable qui
lui attirait immanquablement la sympathie :
— J’ai offert ma fille préférée à Navarre,
or ce mariage a été un échec, Isabeau. Comme il n’a pas été consommé, il pourra
être annulé. Or, je suis persuadée qu’une union entre les Bourbons et les
princes lorrains pourrait rétablir la concorde entre ces deux familles, et la
paix dans le royaume. Si Navarre est à nouveau libre, quelle meilleure alliance
pourrais-je souhaiter que celle d’Henri avec ma petite-fille Christine dont le
père est parent des Guise ?
On le voit, en mélangeant vérité et mensonges,
Catherine de Médicis utilisait tous ses talents en fourberie pour arriver à ses
fins. Elle y parvint, car Isabeau de Limeuil parut cette fois touchée. Encouragée,
la reine poursuivit :
— Seulement… vous connaissez Christine, ce
n’est pas une beauté, c’est pourquoi j’ai songé au philtre que vous
Weitere Kostenlose Bücher