La Guerre Des Amoureuses
avez déjà
fait boire au prince de Condé. Si vous parvenez à le faire avaler à Navarre
alors qu’ils sont ensemble, il tombera sous son charme. Ruggieri m’a dit que
cela ne durerait que quelques jours, ou même que quelques heures, mais si
Christine lui témoigne suffisamment d’affection, il pourrait bien décider de rester
avec elle… Et la paix revenir dans ce pauvre royaume.
Limeuil resta silencieuse, tandis que la reine
essuyait une larme.
— Et je saurai où est mon enfant ? demanda
Isabeau au bout d’un long moment.
— Je vous dirai tout ce que M. de Bezon
a découvert.
— Je dois réfléchir, madame, décida
Isabeau.
— Vous avez le sort du royaume entre vos
mains, ma cousine, dit la reine, en lui faisant comprendre, d’un signe de la
main, que l’entretien était terminé.
Catherine de Médicis savourait son triomphe. Au
moins une des trois femmes ferait avaler ses potions à Navarre. En premier, elle
lui ferait absorber le philtre de Ruggieri et, si elle n’obtenait pas le
résultat escompté, elle utiliserait celui de Roger Bianchi.
En revanche, les négociations sur la rencontre
traînaient. Elle décida donc de montrer sa force. À la fin d’août, et sur son
ordre, le maréchal de Retz se saisit de la ville de Montagu tenue par les
protestants pour que Navarre comprenne que la trêve pouvait être rompue à tout
moment.
Pendant ce temps, la vie s’écoulait au château
au milieu d’intrigues et de débauches sur lesquelles Nicolas Poulain préférait
fermer les yeux. L’oisiveté engendrait le vice, le jeu et la discorde. La
dissolution des mœurs et l’impudeur des dames faisaient le reste. Poulain n’intervenait
que pour les désordres les plus graves, le blasphème même devait être toléré, lui
avait-on fait comprendre, sauf durant les messes.
Pourtant, quand on se promenait dans les
jardins derrière le château, ou le long des levées de la Loire, ces digues
empierrées pour protéger la ville, ce n’était que raffinement et apparence sage
et modeste. Ici, point d’homme habillé en femme comme on en voyait souvent au
Louvre lors des bals, et point de décolletés indécents. Les femmes étaient pour
la plupart en robe noire à haut collet brodée de perle ou tissée d’argent. C’est
à l’occasion d’une de ces promenades qu’Olivier Hauteville rencontra la
duchesse de Montpensier. À dire vrai, il ne put l’éviter. Il était lui-même
avec Nicolas Poulain et Mme de Limeuil quand ils croisèrent le duc de
Nevers avec la duchesse. Mais malgré les apparences, ce n’était pas une
rencontre fortuite.
La duchesse était logée au château et
cherchait depuis plusieurs jours à approcher Olivier. Elle s’était jointe au
duc de Nevers et à ses gentilshommes quand elle avait découvert, en arrivant en
coche sur la promenade le long du fleuve, qu’Olivier s’y trouvait déjà.
On était en fin d’après-midi et chacun
recherchait la fraîcheur des allées de peupliers tant la chaleur était
écrasante. Le duc de Nevers s’adressa fort aimablement à Isabeau de Limeuil, puis
à Nicolas Poulain qu’il voyait chaque jour au château. Nicolas présenta son ami
Olivier, avocat à la Chambre des comptes, qui s’occupait de l’achat des
fournitures de la Cour. Pour ne pas être en reste, le duc nomma quelques-uns
des gentilshommes et des dames qui l’accompagnaient.
Évidemment, il y avait une distance immense
entre l’état de Poulain et celui du duc, mais le prévôt de l’hôtel, même
roturier, était un homme très respecté, aussi une discussion amicale s’engagea
durant laquelle la duchesse de Montpensier s’approcha d’Olivier pour lui dire
qu’elle se souvenait l’avoir aperçu à l’église de Saint-Merri.
— En effet, madame, dit-il en souriant, c’était
sans doute le jour où vous étiez venue écouter le curé Boucher.
Elle s’efforça de dissimuler son dépit, car, apparemment,
il n’avait pas remarqué les autres fois où elle était venue.
Le petit groupe déambulait le long de la
rivière dont le cours était fort bas. La duchesse de Montpensier demanda à
Olivier et à Mme Sardini leur avis sur le dernier spectacle des Gelosi, ainsi
que sur le pieux sermon entendu à la messe célébrée à Saint-Solene. Puis elle
se plaignit de la chaleur accablante qui régnait dans les chambres du château. À
cette occasion, elle demanda à Olivier où il logeait, car elle ne l’avait pas
vu au palais. Isabeau
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