La Guerre Des Amoureuses
une femme
et un gentilhomme italiens de passage demandèrent s’il y avait une chambre de
libre. Le fermier laboureur leur proposa la seule pièce qu’il lui restait. Un
bouge mitoyen de la chambre de Maurevert, simplement séparé par une cloison de
bois. Maurevert, à la fois méfiant, curieux et désœuvré s’intéressa aux
nouveaux venus, si différents des autres locataires de la ferme. L’homme et la
femme ne sortaient guère dans la journée et il se demandait qui ils étaient. Ils
ne parlaient que très peu, ou en tout cas à l’abri des oreilles indiscrètes. Étaient-ils
amants ? Rien ne l’indiquait bien qu’ils partageassent la même chambre et
la même paillasse, mais c’était courant chez les voyageurs. Maurevert sut
seulement qu’ils arrivaient de Paris. La femme avait un teint blafard et
voyageait sur une haquenée. Maigre comme si elle relevait d’une récente maladie,
elle ne s’exprimait que par quelques mots en italien. Quant au gentilhomme, avec
son épaisse barbe et son regard dédaigneux, il avait un je-ne-sais-quoi du
coureur d’aventures, bien qu’il soit policé et élégant comme un damoiseau de
Cour, avec un pourpoint sans manches capitonné et une chemise rouge finement
brodée. De quelle ville venait-il ? Milan, avait-il répondu en italien, la
seule langue qu’il parlait. Mais était-ce vrai ? Maurevert avait aussi
remarqué la lourde épée de duel que l’homme portait haut à la taille, comme les
spadassins italiens, la main gauche à poignée de cuivre ciselée, les arquebuses
de fonte à la selle et le mousquet sur le cheval de bât.
Chaque matin, le gentilhomme se rendait au
village et en revenait au bout d’une heure. Certains soirs, la femme l’accompagnait
et ils rentraient tard. Deux fois, Giovanni les suivit, mais ils allaient
toujours à l’auberge des Trois-Rois pour dîner et ils ne parlaient à personne. Visiblement,
il s’agissait de voyageurs qui attendaient quelqu’un, aussi, au bout de
quelques jours, Maurevert ne s’intéressa plus à eux.
Lorsque le couple se
rendait à Chenonceaux, la femme portait un masque – ce n’était pas inhabituel –
et se couvrait d’un grand manteau à capuchon. À l’auberge, ils s’installaient à
l’écart et n’échangeaient que quelques rares mots.
Un client observateur aurait remarqué qu’il ne
venait que les jours où la troupe des Gelosi jouait au château. C’est en effet
pour obtenir ce renseignement que le gentilhomme se rendait chaque matin au
village.
Car les Gelosi ne jouaient que deux ou trois
fois par semaine, en alternance avec les concerts ou les ballets. Le spectacle
terminé, la joyeuse bande rentrait à leur auberge pour souper. Les comédiens
occupaient toujours la même table, fort éloignée de celle des deux voyageurs, mais
sous son masque la jeune femme ne les perdait pas de vue.
Ce soir-là, on était le 10 octobre, la salle
de l’hôtellerie était enfumée et bruyante. Bien que le souper ne fut pas encore
terminé, Isabella Andreini se leva soudain en s’excusant :
— Mes amis, j’ai très mal dormi cette
nuit, je tombe de sommeil, aussi vais-je me coucher.
Son mari proposa de la raccompagner, mais elle
refusa, préférant le laisser avec ses compagnons. Elle se dirigea au bout de la
salle, jusqu’à l’escalier de bois qui conduisait aux chambres des étages. À
peine s’y était-elle engagée que la femme masquée se leva à son tour pour la
suivre.
Avec la foule dans la salle, personne ne
remarqua rien. Au deuxième étage, Isabella s’arrêta devant la porte de sa
chambre quand une voix l’interpella :
— Isabella !
À ce mot, la comédienne ressentit une si
violente secousse que son cœur s’arrêta de battre un instant. La voix était
celle d’une morte !
Tremblante, elle se retourna lentement. La
morte s’avançait vers elle, le visage hâve, livide, comme tous les spectres. Isabella
essaya de crier mais, muette d’épouvante, elle ne put émettre aucun son.
— Isabella, c’est moi, Gabriella ! dit
doucement le fantôme, comme pour la rassurer. Je suis désolée si je t’ai fait
peur.
— Va-t’en ! Tu es morte ! implora
Isabella d’un ton perçant.
— Non, Isabella, je suis vivante ! J’ai
été soignée. Ma blessure a guéri.
Peu à peu, la terreur se changea en
stupéfaction sur les traits épouvantés d’Isabella Andreini. Elle se détendit
enfin, tout en restant en pleine confusion.
À ce moment, la morte
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