La Guerre Des Amoureuses
fortes avec des poignées de
fidèles, tandis que le maréchal de Biron laissait faire. Navarre attendait
aussi l’arrivée des reîtres allemands que le frère de l’électeur palatin lui
avait promis pour peser dans la négociation.
Au fils des jours, il apparut clairement que
rien ne se ferait si la Cour restait là. La reine acceptait maintenant de se
rendre jusqu’à Saint-Maixent. Navarre, lui, avait changé d’avis et exigeait
Cognac, en plein pays protestant.
La reine allait-elle céder ? C’était
prendre des risques inouïs pour une paix hypothétique, grondait le duc de Retz,
et dans les cabarets du village, les hommes du duc de Montpensier raillaient
ainsi quand ils avaient trop bu :
Catin en Guyenne
ira-t-elle,
Abuser le prince fidèle ?
Non, fera, non ! Si, elle ira !
C’est là où la paix se fera,
J’entends une paix de marconne
M me de Sauves y est
bonne [59]
La fin du mois vit
arriver le froid et la pluie. Maintenant que chacun devait se terrer chez soi, l’inconfort
devint général dans un château et un village où rien n’était prévu pour
accueillir autant de monde si longtemps. Comme l’avait écrit un jour le
cardinal de Lorraine lors d’un déplacement de la Cour : Nous sommes ici
aux crottes et au froid jusqu’aux yeux, et la Cour est plus pleine de brouillerie
que jamais parmi les dames.
Ceux qui n’étaient pas logés par la reine
devaient payer une pension de quarante sols par jour. Dès lors, les moins
fortunés devaient vivre d’expédients. Les trafics de toutes sortes s’intensifiaient :
vente de vêtements, de bijoux, petits larcins, et bien sûr prostitution
déguisée. Discrètement les couples se faisaient et se défaisaient, pardonnés
par les confesseurs complaisants suivant l’adage de l’église : Péché n’est
plus péché quand il est bien celé.
Le prévôt Poulain avait de plus en plus de mal
à nourrir ce monde. Il devait aller s’approvisionner de plus en plus loin, alors
que la famine régnait dans les campagnes, et il passait le reste de son temps à
tenter d’éviter les querelles pour des motifs futiles.
La duchesse de Montpensier était fort inquiète.
Le capitaine Cabasset n’était pas revenu. Avait-il été tué ou capturé en route ?
C’est dans ce milieu désœuvré, licencieux, violent
et insatisfait que Isabeau de Limeuil arriva le 1 er octobre.
Affaiblie, amaigrie, vieillie, pouvant à peine
marcher, elle fut reçue par la reine avant de s’installer dans les appartements
qu’on lui avait préparés. Deux chambres au-dessus de la grande galerie du
château. Le soir même, Nicolas Poulain demanda à la voir. Elle le reçut à demi
couchée sur son lit, d’abord en présence du Suisse Hans, puis seule après que
Poulain l’eut demandé.
— Madame, je n’ai pas envie de dissimuler.
Je sais qui vous a tiré dessus et pourquoi, dit-il sèchement, en restant debout.
Le visage de Mme Sardini resta
impénétrable.
— Vous aviez reçu un ordre du roi, la
veille, pour rentrer à Paris, et vous ne l’avez pas suivi, ajouta-t-il sur un
ton de reproche.
— C’est pour cela que l’on a tenté de me
tuer ? articula-t-elle lentement.
— Oui, vous ne deviez pas venir ici.
— Pourtant j’y suis, railla-t-elle avec
un sourire sans joie.
— C’est la raison pour laquelle je vous
ai demandé cet entretien. Je suis là pour vous supplier de rentrer à Paris.
Elle secoua négativement la tête avant de
demander :
— C’est vous qui m’avez tiré dessus ?
— Non, madame, et je ne l’aurais jamais
fait si on me l’avait ordonné, mais je vous l’ai dit, j’ai interrogé le
coupable.
— Qui est-ce ?
— Je ne vous le dirai pas, car il a agi
sur ordre du roi.
Elle resta à nouveau muette, et le silence s’installa
entre eux. Mais étrangement, ce n’était pas un silence hostile. Elle
réfléchissait.
Quelle confiance pouvait-elle accorder à ce
prévôt ? Certes, il était l’ami d’Olivier Hauteville, un jeune homme dont
elle ne doutait pas de la droiture. Cassandre lui avait aussi raconté que
Poulain était un policier perspicace – il l’avait très rapidement suspectée, lui
avait-elle dit – et qu’il était loyal au roi de France, mais elle avait su – de
la reine – qu’il n’avait eu sa charge à la Cour qu’avec l’appui du duc de Guise.
Maintenant, il lui apprenait que c’est le roi qui avait donné l’ordre de l’assassiner ;
un ordre qu’il
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