La Guerre Des Amoureuses
j’irai mieux. En aucune manière je ne veux
manquer l’arrivée d’Henri de Navarre.
Le premier mois, Chenonceaux
fut pour les courtisans un lieu de plaisirs. Ce ne furent que promenades et
fêtes dans les jardins de Diane de Poitiers et de Catherine de Médicis. Les
journées étaient longues, le temps agréable et la nourriture riche et abondante.
Durant les après-midi et les soirées se succédaient ballets et comédies dans la
grande salle qui enjambait le Cher. Les incessantes allées et venues entre le
village et le château provoquaient d’aimables rencontres. L’une des festivités
les plus appréciées étaient les cavalcades dans les allées où les femmes de l’escadron
volant défilaient à cheval fort court vêtues devant des tribunes où la Cour
avait pris place.
Nicolas Poulain devait surtout veiller à ce
que les rivalités ne s’exacerbent pas, car les gens du duc de Montpensier
défendaient la légitimité au trône du roi de Navarre et s’opposaient sans cesse
aux ligueurs. Malgré tout, il n’y eut pas de graves incidents. Il faut dire que
la reine mère parvenait à maintenir un certain ordre avec les femmes de l’escadron
volant, cette armée qui lui permettait de mener les gentilshommes par le
bout du chalumeau, comme le disait un contemporain.
Le désœuvrement, les plaisirs et la présence
de l’escadron volant ne pouvaient qu’entraîner luxure et débordements. Dans l’ombre
des cuisines, serviteurs et domestiques n’hésitaient pas, quand ils étaient
seuls, à se moquer de ces femmes qui se couchent et en sont à l’escarmouche, entonnant ce refrain à la mode à Paris :
Douarti, c’est
trop caqueté !
Quand tu auras bien mugueté,
L’amour des princes et princesses,
Tu trouveras des coups de fesses ! [58]
Mais dans l’entourage
politique de la reine, on ne prêtait aucune attention à ces persiflages. Le
climat était laborieux. Catherine de Médicis tenait conseil chaque matin avec
les Grands qui l’avaient accompagnée : le duc de Nevers, M. de Gondi
– le duc de Retz, qui était arrivé avec sa compagnie d’hommes d’armes – et le
duc de Montpensier. D’autres fidèles y assistaient parfois :
M. de Rambouillet, M. de Chémerault, Charles de Birague, ou
encore René de Daillon. Chacun donnait son avis sur ce qu’il y avait lieu de
faire. Navarre allait-il venir, ou fallait-il aller à sa rencontre ?
Le Cher était une limite que beaucoup ne
voulaient pas franchir. Le duc de Retz avait placé ses hommes d’armes sur l’autre
rive, pour se protéger de toute surprise, et les Suisses surveillaient les
abords du château. Chacun savait que le roi de Navarre adorait les coups de
main, et Chenonceaux n’était pas un château fort.
L’après-midi, entourée de ses secrétaires et
de ses proches conseillers, la reine recevait parfois les plénipotentiaires
protestants venus de la Rochelle, ou elle écoutait les propositions que lui
rapportaient ses propres ambassadeurs, principalement Rambouillet et Chémerault.
Les discussions avançaient fort lentement. Chaque
parti se méfiait – à juste raison – de l’autre. Navarre proposait maintenant
que la conférence ait lieu plus au sud, sur la Loire, avec une trêve générale
tout au long du fleuve. Catherine refusait, craignant que ce ne soit qu’un
prétexte à une attaque des huguenots contre elle et ses gens.
C’est que le Béarnais n’avait aucune confiance,
et ses deux plus proches capitaines, le vicomte de Turenne et le prince de
Condé, opposés à la conférence de paix, lui conseillaient de rompre. L’attitude
du roi, à Paris, n’allait pas non plus dans le sens d’une ouverture. Brusquement,
Henri III s’était raidi et conduisait une politique extrêmement violente
de confiscation et d’emprisonnement envers les derniers protestants qui y
restaient. Ceux qui ne comprenaient pas l’attitude du roi ignoraient qu’il
voulait faire rompre les négociations et que c’était le seul moyen qu’il avait
pour empêcher Navarre de rencontrer sa mère.
Pour autant, la prudence naturelle du Béarnais
l’incitait à ne pas repousser les avances de Catherine de Médicis. Il voulait seulement
de solides garanties. Il écrivait ainsi à un proche : On nous a fait
quelques ouvertures d’entrevue, mais d’autant que je n’ai point aperçu qu’on y
marcha de bon pied.
En même temps, il poursuivait sa guérilla dans
la Saintonge, grappillant petites villes et maisons
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