La guerre des rats(1999)
l’enterrer dans un monticule de terre, ou le cacher parmi d’autres douilles, comme cet Allemand l’avait fait. Ça le rendait quasiment invisible.
Zaïtsev avait braqué son périscope sur la douille. De sa main libre, il avait placé son casque sur la pointe de sa baïonnette, l’avait fait dépasser de sa cachette. Un éclair était apparu dans la douille ; le casque était tombé, avec un impact de balle sur le devant. Le Sibérien avait dû rendre hommage à la ruse et à la patience de son ennemi. Il avait tiré le premier coup. Le coup suivant serait pour le Lièvre.
Le lendemain à l’aube, Zaïtsev avait pris position au même endroit, avait de nouveau compté les douilles. Il y en avait cette fois vingt-deux. Le tube creux avait disparu. Le tireur allemand n’était pas un novice, il connaissait la règle : tu tires, tu bouges. Il avait emporté la douille sans fond avec lui. Pour la placer où ? À l’aide du périscope, Zaïtsev avait scruté tous les creux et toutes les bosses du terrain. Au bout de trois heures épuisantes, il avait vu la douille enterrée au-dessus d’une tranchée, cent mètres à droite de la cachette précédente. Le camouflage était bâclé : une partie du tube dépassait de la terre et luisait dans les lueurs de l’aube.
Zaïtsev s’était posté à un endroit où le soleil, passant pardessus son épaule, dardait ses rayons droit dans les yeux de l’Allemand. Il avait coincé son fusil entre deux rochers et braqué sa lunette sur l’extrémité du tube. Abandonnant son arme, il avait rampé jusqu’à un tas de briques situé trois mètres plus loin, avait refait le coup de la baïonnette. De nouveau, une balle avait frappé le casque. Zaïtsev était retourné prendre son fusil, il avait regardé à l’intérieur du tube avec sa lunette. Deux cents mètres plus bas, à l’autre bout du tube de laiton, le tireur nazi s’était baissé pour ramasser la douille de sa balle sur le sol de la tranchée. Il continue à suivre les règles, avait pensé le Russe. Ne pas laisser de traces.
Zaïtsev avait attendu qu’il se redresse, que les lignes du réticule partage son front. La balle, seule offrande du Sibérien dans ce combat à un contre un, avait pénétré entre les yeux.
— Entre les yeux ? répéta Batiouk, incrédule.
— Oui, mon colonel, répondit Zaïtsev, soutenant le regard de l’officier et portant un doigt entre ses sourcils. Ici, exactement.
Batiouk ramena son attention sur le carnet de l’adjudant, en parcourut les dernières pages puis le laissa retomber sur le bureau.
— Ce matin, tu as abattu un officier près de l’usine de tracteurs.
— Les Allemands sont relevés à l’aube. Ceux qui prennent la garde font souvent une bourde, comme allumer une cigarette ou s’étirer. Quand on dort encore à moitié, on est imprudent.
— Il a fait quoi, celui-là ?
— Il a bu à une gourde. Sa tête a surgi de la tranchée comme un bouchon de liège à la surface de l’eau.
Batiouk attendit.
— Alors, je l’ai fait éclater, mon colonel.
Batiouk indiqua le carnet.
— Je vois que tu as tué quarante-deux Allemands en douze jours. Combien as-tu utilisé de cartouches ?
— Quarante-trois, mon colonel.
— Tu as manqué ton coup une fois ? fit l’Ukrainien avec un sourire. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je chassais des officiers sur le Mamayev Kourgan. J’ai rampé le long de la pente pour me placer au-dessus d’eux. Ils se baignaient dans un cratère de bombe rempli d’eau de pluie. J’ai oublié de tenir compte du fait que je tirais vers le bas.
— Et ?
— Et j’étais fatigué et j’ai pas soustrait un huitième de la distance au total, j’ai tiré trop long. Les officiers ont bondi hors de leur piscine.
— Qu’est-ce que tu as fait ensuite, Vassili ?
— J’ai constaté mon erreur et je suis parti.
Batiouk joignit l’extrémité de ses doigts.
— Tu n’as pas tiré à nouveau sur les officiers ? Je suppose qu’ils sont restés en vue assez longtemps pour ça.
— Oui, mon colonel, j’aurais pu. Mais c’est pas la bonne méthode. On doit pas tirer après avoir révélé sa position. Un ou deux officiers en échange d’un tireur d’élite, ça ne vaut pas le coup.
Batiouk se leva, hocha plusieurs fois la tête, claqua une fois des mains.
— Vassili, j’ai un boulot pour toi.
Viktor Medvedev replia son Étoile rouge et demanda :
— Il veut que tu fasses quoi ?
Les deux hommes étaient seuls
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